Le courage de Marylise Léon
En poursuivant les négociations sur les retraites et en définissant des pistes justes et réalistes, quitte à briser certains tabous, la secrétaire générale de la CFDT défend la voie sociale-démocrate, c’est-à-dire l’intérêt des travailleurs et celui de son pays.
On dit toujours que la social-démocratie n’existe pas vraiment en France et, souvent, le comportement de la gauche a accrédité cette idée. Mais on oublie, disant cela, le rôle décisif de la CFDT, le premier syndicat de France, qui, à force de prendre ses responsabilités, est devenue la principale force réformiste dans notre pays, bien plus efficace pour défendre les droits des travailleurs que les organisations qui se gargarisent de radicalité mais restent au balcon de l’histoire sociale.
Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’entretien clarissime donné dans La Tribune Dimanche par Marylise Léon, cheffe de la CFDT. « Ceux qui comptent désormais, dit-elle avec une certaine ironie, sont ceux qui restent ». En effet : FO, la CGT, et quelques autres, qui se sont retirés sur un Aventin confortable par peur de se colleter avec les réalités, encouragés par les boutefeux de LFI, ne jouent plus aucun rôle. Ils se contenteront de dénoncer mécaniquement les résultats obtenus, surtout s’ils sont favorables aux travailleurs.
Avec simplicité et courage, Marylise Léon pose le diagnostic : dans son actuel état, et contrairement à ce que clame le patronat, la réforme impose des sacrifices excessifs à certains travailleurs usés ou bien astreints à la tâche depuis trop longtemps pour un salaire faible ; elle prend mal en compte la pénibilité et laisse de côté le sort de nombreuses femmes. Il faut donc l’amender, et discuter « sans tabou », notamment sur l’âge pivot de 64 ans. Aussi bien, le pilotage général du système doit revenir, bien plus qu’aujourd’hui, aux partenaires sociaux, ce qui peut être discuté désormais.
Mais la CFDT reconnaît aussi l’impératif d’équilibre financier qui s’impose aux négociateurs, surtout depuis que la France doit ajouter à ses priorités l’effort nécessaire pour disposer d’une défense digne de ce nom, indépendante des caprices – ou des trahisons – de Donald Trump. Le syndicat est donc prêt – sans le dire pour l’instant, sinon entre les lignes – à trouver un compromis autour d’un âge pivot de 63 ans, qui correspond en fait à l’âge moyen auquel les Français partent aujourd’hui à la retraite.
La concession ne suffit pas à retrouver l’équilibre financier ? La CFDT est d’accord pour discuter d’une participation plus nette des retraités aisés à l’effort commun, ce qui n’est que justice. Il faut mettre fin, dit Marylise Léon, au dangereux conflit des générations qui verrait les plus jeunes dénoncer – souvent avec des arguments pertinents – l’égoïsme délétère des « boomers » qui ont eu la chance de bénéficier d’une retraite confortable leur conférant un niveau de vie égal – parfois supérieur – à celui de ceux qui travaillent encore.
De même, la CFDT met le doigt sur la question centrale : le rôle du travail dans notre société. Pour relever les défis du futur – environnementaux, stratégiques, sociaux ou industriels – la France devra travailler plus. Non pas forcément en allongeant la durée de travail de ceux qui travaillent, mais, en tout cas, en ramenant au travail ceux qui en sont exclus : une partie de la jeunesse et, surtout, la masse des seniors privés d’emploi avant l’âge de leur retraite.
Sur tous ces points, la négociation peut être féconde. Après avoir failli faire capoter toute l’affaire par sa maladresse, François Bayrou doit comprendre qu’il a en face de lui un adversaire-partenaire rude mais fiable. Sans les concessions nécessaires, il remettra en selle les têtes dures de la droite antisociale et les irresponsables de la radicalité.