Le « devoir conjugal » n’en est pas un
Décision historique de la Cour européenne des droits de l’homme : la loi ne contraint pas les épouses à des relations sexuelles quelles ne désirent pas.

On croyait l’affaire entendue : aucune femme ne pouvait être contrainte d’accepter des relations sexuelles contre son gré. Y compris entre époux. Or on vient de découvrir que, lors de son divorce, une femme française avait été condamnée à ses torts exclusifs parce qu’elle refusait de se soumettre au soi-disant devoir conjugal. Il a fallu que la Cour européenne des droits de l’homme intervienne pour que cette plaignante ait raison de la justice française !
La Cour de Strasbourg a en effet condamné la France le 23 janvier, se fondant sur le droit de disposer de son corps. La CEDH a jugé que le refus d’avoir des relations sexuelles avec son époux n’était pas un manquement aux obligations du mariage. C’est une victoire majeure pour les droits des femmes. Et une honte pour les tribunaux hexagonaux qui ont jusqu’ici interprété le code civil de manière archaïque.
L’affaire remonte à 2015 lorsqu’une dame résidant dans les Yvelines demande le divorce aux torts de son conjoint violent, lequel en demande autant parce que son épouse se soustrait au « devoir conjugal ». En 2019 la Cour d’appel de Versailles donne tort à l’épouse en considérant que le refus de relations sexuelles était une « violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage ». La Cour de Cassation (chambre civile) approuve cette décision en 2020. Alors que depuis 1990, sa jurisprudence (chambre criminelle) a condamné le viol conjugal. Incompréhensible !
Il apparait que les deux droits – le pénal et le civil – n’étaient pas en harmonie. Alors que la loi entérine le viol conjugal en 2006, le code civil n’a pas bougé et a été interprété au détriment des femmes. Deux de ses articles, 212 et 215, disposent que les époux « s’obligent mutuellement à une communauté de vie » et « se doivent mutuellement respect, fidélité, secours assistance ». Traduction aberrante par les tribunaux : communauté de vie suppose communauté de lit…
On peut s’étonner, pour ne pas dire plus, de cette conception issue du droit canonique, où le refus de relations sexuelles justifiait une annulation du mariage. Le Code civil n’évoque jamais ce sujet. Ce n’est pas parce que l’on est uni par les liens du mariage que l’on est contraint d’avoir des relations sexuelles. La notion de « devoir conjugal » ne repose sur rien dans la loi. Seules des jurisprudences en ont fait un élément justifiant de donner tort à l’épouse qui s’y déroberait.
A l’heure où Gérald Darmanin se déclare publiquement d’accord pour introduire le consentement dans le Code pénal, il est temps de clarifier le Code civil pour que plus aucune femme ne puisse subir les déconvenues de notre plaignante des Yvelines. Sur l’affaire du « devoir conjugal », le Garde des Sceaux a reconnu qu’il fallait mettre le droit français en conformité avec la décision de la CEDH. En attendant, il serait opportun que les prochains jugements respectent la Cour de Strasbourg. Et que la Cour de Cassation convoque une assemblée plénière pour harmoniser – et surtout moderniser – sa jurisprudence.