Le droit du sol, pilier de l’identité française

par Laurent Joffrin |  publié le 18/02/2025

En demandant que la nationalité soit à l’avenir fondée sur la seule transmission biologique, la droite dure trahit un héritage immémorial qui est une composante de la vraie nature du pays.

Laurent Joffrin

Étrange, chez les nationalistes, cette manie de dire du mal de leur pays. C’est notre ami Jean-François Kahn qui faisait cette remarque. Et c’est un fait qu’à entendre les leaders du RN et leurs épigones de la droite, la France ne vaut pas tripette. Un pays submergé par l’étranger, en pleine décadence, ayant abdiqué de toute indépendance, ravagé par le crime, paralysé par le conformisme « bien-pensant », gouverné par des nuls, dominé par des escrocs incompétents, par le laxisme congénital des élites, où l’on risque la mort à chaque coin de rue. Et donc par définition incapable d’intégrer des minorités d’origine étrangère, dont il faut se débarrasser au plus vite, en supprimant d’urgence, par exemple, ce « droit du sol » qui corrompt la pureté soi-disant immémoriale de la population « de souche ».

Car c’est bien le raisonnement qui sous-tend l’obsessionnelle campagne des droites dures contre cette disposition venue du fond des âges – elle fut instaurée par Louis X le Hutin et reconduite presque sans interruption depuis – selon laquelle ceux qui naissent en France deviennent français, quelle que soit leur origine. Pourquoi les rois unanimes, puis les gouvernants républicains, l’ont-ils constamment ratifiée ? Parce qu’ils avaient confiance dans leur nation. Une confiance étrangement absente des discours nationalistes, en dépit d’une histoire nationale plus que millénaire, d’innombrables épreuves surmontées, d’une culture mondialement révérée, d’une littérature éclatante et d’un héritage historique prestigieux.

On entend d’ici la réplique : vous ignorez donc, dans votre aveuglement progressiste, la réalité de la délinquance, le déclin de l’économie, la force des puissances rivales, les difficultés nées de l’immigration, etc. En aucune manière, justement ! Cent fois dans cette lettre, nous avons rappelé aux progressistes qu’ils avaient grand tort de minimiser ces difficultés, qui appellent des politiques énergiques ; mais aussi que rien ne sert d’en dilater de manière caricaturale les dangers, qui sont assez inquiétants pour qu’il ne soit pas besoin d’en rajouter sans cesse dans le pessimisme paniquard. La France traverse une nouvelle épreuve dans un monde dangereux : elle en a vu d’autres qu’elle a fini par conjurer. Pourquoi échouerait-elle cette fois-ci ?

Et surtout, puisque c’est l’immigration qui est à l’origine de cette lugubre alarme, en quoi le fait de proscrire le droit du sol – ce qui revient à multiplier le nombre d’étrangers en France – résoudrait-il la question ? C’est la maîtrise des entrées qui compte en cette matière, alliée à un meilleur accueil de ceux qui ont le droit de venir, à un effort d’intégration supérieur et à la réduction des discriminations de toutes sortes qui favorisent le « séparatisme » qu’on redoute. Napoléon Bonaparte, qui en tenait pour le droit du sol, même s’il laissa ses juristes le restreindre, disait avec une certaine sagesse : « on est du pays qui vous a vu naître et qui vous a inculqué sa culture et ses moeurs ». Il parlait en connaissance de cause, originaire d’une île étrangère qui venait à peine d’être conquise et parlant le français avec un fort accent corse, devenu néanmoins l’un des plus marquant protagonistes de la geste nationale.

L’identité française, celle qu’on prétend vouloir protéger, c’est aussi l’ouverture au monde, l’universalisme républicain et l’impérieux creuset français, qui a tant contribué à la grandeur de la vieille nation. Et défendre le droit du sol, qui récuse l’idée étroite que la nationalité repose sur des bases purement biologiques, c’est être plus fidèle à la France que ceux qui ne cessent de la dénigrer.

Laurent Joffrin