Le gouvernement invisible
Lui-même sorti d’un chapeau élyséen, Michel Barnier a composé une équipe dominée par des inconnus issus des partis désavoués par le suffrage universel. Le tout au nom d’une nécessaire clarification.
On peut toujours se moquer. Les esprits caustiques dauberont sur le relatif anonymat des détenteurs ou détentrices de certains ministères importants. Mais c’est oublier, par exemple, que la nomination d’Anne Genetet, chargée de l’Éducation – chose logique puisqu’elle a fait des études médecine avant de travailler pour une entreprise de communication, puis de s’occuper comme députée des Français établis hors de France, des relations entre les expatriés et leur personnel de maison – est compensée par l’arrivée en fanfare de ces vedettes que sont Benjamin Haddad, Nathalie Delattre, François Durovray ou Nicolas Daragon, tous ministres désormais et tous très connus de leurs voisins et de leurs amis.
De même Paul Christophe, ministre des Solidarité, de l’autonomie et de l’égalité femmes-hommes, dont la notoriété reste sobre comme celle de la plupart de ses collègues, bénéficiera de l’éclat incandescent dispensé par Alexandre Portier, Sophie Primas, Marie-Agnès Poussier-Winsback, Marine Ferrari, Olga Givernet ou Agnès Canayer, également placés à la tête de divers ministères et jouissant d’une intense célébrité dans leur cercle de famille. Au moins cette légion d’illustres inconnus, vêtus de probité candide et de lin blanc, marque une volonté appuyée d’originalité et de renouvellement, puisqu’aucun observateur de la vie politique ne pourrait mettre un visage sur ces noms, ni citer le moindre de leurs faits et gestes, ce qui est un signe de fraîcheur indiscutable.
Lui-même homme de l’ombre, le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler aurait pu lire, en lieu et place des noms des membres du gouvernement, la liste des joueuses et joueurs remplaçants dans les équipes sportives de Guingamp sans que la presse fasse la différence. Habileté suprême : n’ayant à leur actif aucune action mémorable, ils échappent à toute critique. Atout décisif, également : ce gouvernement de néophytes, par définition proches du peuple des anonymes et qui refuse les séductions factices du star-system, pourra jeter un regard neuf sur les problèmes qui agitent le pays.
Ainsi va la vie politique depuis la dissolution macronienne : personne n’a compris le sens de la décision présidentielle ; la coalition arrivée en tête a été ramenée au sort d’un micro-parti mis sur le banc de touche ; une noria de Premier-ministrables a envahi les gazettes pendant tout l’été, avant d’être supplantés par un cheval de retour de la chiraquie issu du parti le plus faible du Parlement, doté d’un programme soigneusement dissimulé et qui s’entoure maintenant d’une équipe de zombies interchangeables dont les intentions sont une énigme enveloppée de mystère et dont la seule qualité consiste à refléter, par leur étiquette politique, l’équilibre délicat qu’on a voulu respecter entre les diverses formations désavouées par le suffrage universel.
Au fond, pour être ministre en cette fin de règne macronien, il suffit d’être inconnu de tous et de n’avoir rien fait de notable. Comme le disait Emmanuel Macron en annonçant qu’il dissolvait une Assemblée rétive : il était temps de procéder à une indispensable clarification.