Le lâchage américain ? Une chance pour l’Europe
Le schisme entre l’Europe et les États-Unis fonctionne comme un précieux révélateur. Une carte du monde inédite se dessine sous nos yeux. Pour l’Europe, cette nouvelle donne offre peut-être une perspective : se constituer en tant que puissance et chercher des partenaires renouvelés.

L’Europe d’abord. La voilà plus isolée : d’Est en Ouest, l’agressivité et le ressentiment sont là. Sur son flanc est, on a enfin admis que Poutine veut détruire l’Ukraine indépendante comme une première étape vers une nouvelle forme de « finlandisation » de l’Europe centrale qui rappelle furieusement l’ancien glacis du monde soviétique.
À l’ouest, le coup est plus sévère car il comporte deux aspects.
Premier volet, Donald Trump a dévitalisé l’Otan en remettant en cause l’article 5 de cette Charte qui unit tous ses membres dans une chaîne de solidarité automatique. Second volet, la Maison Blanche cible l’Europe en tant que telle, son projet économique comme ses valeurs. Le président américain a résumé sa pensée d’une seule phrase assez vulgaire : « L’Union Européenne a été créée pour nous baiser ».
Trump croit pouvoir chambouler la « vieille » diplomatie avec des méthodes d’entrepreneur, la stratégie du « deal maker » dont il se gargarise chaque jour. Il veut un succès rapide sur l’Ukraine et n’hésite pas à s’aligner sur les exigences de Poutine pour y parvenir. Jusqu’ici, le président russe n’a pas bougé d’un millimètre, il attend une capitulation en règle de Zelensky.
De loin on pourrait penser qu’en faisant des cadeaux à Poutine, Trump veut obtenir le « découplage » tant souhaité entre Moscou et Pékin. Pour garder une suprématie mondiale, on le sait obsédé par la rivalité avec la Chine, mais c’est mal connaitre le maître du Kremlin qui défend une vision impériale de ses intérêts à long terme.
Le problème de Trump c’est justement qu’il n’a aucune idée du temps long. Déjà, il a oublié le voyage de Poutine à Pékin en début 2022, juste avant qu’il ne lance son « opération spéciale » contre l’Ukraine. À l’époque, Xi Jinping et Poutine ont présenté leur rencontre en parlant d’une « amitié sans limite ». Des mots précis qui résonnent comme un « pacte ». Dans leur vocabulaire, nul besoin de « deal ». La Chine, comme l’Iran, aide Moscou dans son effort de guerre contre l’Ukraine. Le moment venu, elle aura – n’en doutons pas – le soutien de Poutine pour s’emparer de Taïwan.
Dans la perspective où la rivalité actuelle bascule en un affrontement direct avec les États-Unis, Pékin pourra compter sur le gaz et le pétrole russe. Si le conflit dégénère d’avantage, la Chine pourrait aussi bénéficier de l’immense « profondeur stratégique » du grand Est de la Russie.
Entre Moscou et Pékin, le passé communiste (stalinien ou maoïste) est toujours là, malgré quelques moments de brouille aujourd’hui oubliés. Depuis l’éclatement de l’Union Soviétique, Poutine s’estime méprisé par les vieilles démocraties occidentales ; la montée en puissance technologique et industrielle de la Chine est perçue comme une menace par Washington. Pékin et Moscou partagent le même rejet de l’occident, de ses valeurs, de son modèle de société. Bref, un bon climat pour « une amitié sans limite ».
Lâchée à l’ouest par son ancien allié américain, menacée à l’est par le régime de Poutine, l’Europe peut-elle compter sur des ouvertures vers le sud ?
Fin février, Ursula von der Leyen a fait un voyage remarqué à New Delhi pour boucler d’ici à la fin de l’année un accord de libre-échange ambitieux entre l’UE et l’Inde. Ce projet comprend aussi un volet sécurité et défense. L’Inde est déjà le premier partenaire commercial de l’Europe, c’est donc une ouverture, jusqu’ici New Delhi s’étant toujours tournée vers Moscou pour ses équipements militaires.
La menace de représailles douanières pousse l’UE à rechercher de nouveaux partenaires commerciaux. Le récent accord avec le Mercosur en est un exemple : dès 2024 des accords de partenariats comportant un volet sécurité ont aussi été conclus avec la Corée du Sud et le Japon.
Quoi qu’il en soit, il est certain que le comportement erratique et punitif de Donald Trump en matière commerciale donne paradoxalement une chance aux Européens de nouer des accords stables et à long terme avec le reste du monde. Nous verrons plus tard si cette tendance fait apparaitre une renaissance du « non-alignement » … ou non.