Le message oublié du 8 mai

par Laurent Joffrin |  publié le 07/05/2025

Quatre-vingts ans après la victoire des Alliés en Europe, les valeurs qui ont triomphé à l’époque s’effacent progressivement…

Laurent Joffrin

Ce fut la grande victoire de la liberté. En imposant une reddition sans condition à l’Allemagne nazie, qui serait suivie quatre lois plus tard par celle du Japon, les Alliés avaient écrasé le fascisme fauteur de guerre, de torture, de massacre et d’holocauste. Bien sûr, ils avaient reçu le renfort décisif d’un autre totalitarisme, celui de Joseph Staline, dont les exactions étaient également massives. Mais enfin, pour les principales démocraties de la planète, les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Belgique, les Pays-Bas, le Canada ou l’Australie, ce fut un jour de triomphe. Les régimes qui plaçaient la liberté au-dessus de l’identité l’emportaient sur leurs ennemis.

Ce gigantesque effort, ces sacrifices sans nom, les peuples de ces démocraties les avaient consentis au nom d’un idéal, celui que Roosevelt et Churchill avaient défini dès 1941 dans la « Charte de l’Atlantique » et qui allait inspirer la reconstruction d’après-guerre, à travers la fondation de l’ONU et la signature des grandes conventions internationales destinées à protéger les droits de l’Homme : la liberté politique, le libre-échange et la coopération internationale.

Il y avait là une part d’hypocrisie. Outre l’alliance avec Staline, les démocraties maintenaient encore sous leur joug les peuples colonisés, ménageaient des dictatures comme celle de Franco ou de Salazar, et allaient, au nom de la lutte contre le communisme, soutenir des régimes autoritaires en Asie ou en Amérique latine. Mais peu à peu, à travers mille vicissitudes, la liberté se frayait un chemin. Dans les années 1970, les dictatures européennes, Portugal, Espagne et Grèce, tombaient à leur tour. En 1989, la chute du Mur de Berlin sonnait le glas de l’empire soviétique et les peuples latino-américains accédaient à la démocratie, à tel point qu’à la fin du 20ème siècle la thèse irénique de la « fin de l’Histoire » devenait un objet de débat crédible. Entamée au lendemain de la guerre, la marche victorieuse de la liberté – toujours imparfaite, mais en progrès constant – semblait devoir s’étendre à la planète entière.

Vingt-cinq ans après cette supposée « fin de l’Histoire », on comprend dans la douleur que rien n’était acquis. Aux yeux d’une grande partie des peuples, la liberté est désormais suspecte, le libre-échange menaçant et la coopération internationale illusoire. La mondialisation qui devait assurer la paix a jeté les classes populaires dans la révolte. L’obsession de l’identité prend peu à peu la place de l’universalisme, et le nationalisme commence à prendre sa revanche sur la liberté. Sous une forme nouvelle, plus insidieuse, ou plus prudente, affublé des oripeaux d’un populisme fondé sur le suffrage plus que sur le coup de force, le fascisme renaît.

C’est vraie la leçon de cette commémoration du 8 mai 1945 : les valeurs pour lesquelles tant de femmes et d’hommes ont succombé à l’époque sont de nouveau en danger. Loin de triompher, les défenseurs de la démocratie sont sur la défensive, le libre-échange laisse la place à une égoïste fermeture des frontières, et la coopération internationale a volé en éclats. Ce qui veut dire une chose essentielle : en célébrant cette ancienne victoire, ceux qui tiennent à la liberté doivent savoir qu’ils sont désormais entrés dans une ère de danger et de résistance.

Laurent Joffrin