Djibouti, le dernier carré en Afrique

par Pierre Benoit |  publié le 20/12/2024

Le rapatriement des Mirages de la base de N’Djamena a commencé le 10 décembre après la décision du Tchad de rompre sa coopération militaire avec Paris. Dix jours plus tard Emmanuel Macron est en visite à Djibouti, où il doit passer un réveillon de Noël anticipé avec les soldats installés au sud de la mer Rouge. 

Le président Emmanuel Macron s'entretient avec des soldats français lors d'un dîner le 20 décembre 2024, au cours de sa visite de 2 jours pour célébrer Noël avec les forces françaises à Djibouti. (Photo Nicolas MESSYASZ / POOL / AFP)

C’est un rituel déjà bien établi par l’Élysée que ces dîners de Noël auprès des forces engagés dans les opérations extérieures. L’année dernière, Emmanuel Macron était en Jordanie pour rencontrer les soldats déployés au Proche-Orient pour lutter contre les djihadistes de Daech. Cette fois, le contexte est bien différent. Le Président arrive sur la base de Djibouti au moment où les implantations militaires françaises connaissent un repli spectaculaire du continent africain. 

En l’espace de trois ans, cinq pays de l’Afrique de l’Ouest ont rompu leurs accords de coopération militaire avec Paris. À la suite d’un double coup d’État militaire, les derniers 2 400 militaires de l’opération Barkhane mis en place pour contrer les menaces djihadistes et des Touaregs, ont quitté le Mali. Ensuite les putschs se sont enchainés au Niger et au Burkina Faso entrainant le départ des forces françaises. Derniers épisodes, le Tchad, avec la fermeture de la base de N’Djamena, et le Sénégal, où le nouveau Président Bassirou Diomaye Faye déclarait le 28 novembre : « La France reste un partenaire important pour le Sénégal…mais les autorités françaises doivent envisager un partenariat dépouillé de cette présence militaire-là ».

Au cœur de l’été encore, plusieurs sources confirmaient que l’État-major travaillait à un reformatage de la présence militaire française. Jean-Marie Bockel, conseiller spécial de Président Macron sur ce dossier, enchaînait les escales dans les capitales africaines pour préparer un rapport. On imaginait, par exemple, laisser seulement une centaine de soldats au Sénégal et environs 300 au Tchad, contre un millier à l’époque. 

Auditionné le 6 novembre devant la commission de la défense de l’Assemblée Nationale, Jean-Marie Bockel défendait lui aussi l’idée « d’un partenariat renouvelé ». Il évoquait une démarche inscrite dans une logique de « co-construction » avec les partenaires de la France. En septembre, l’armée française s’est dotée d’un commandement pour l’Afrique installé à Paris, une création qui rappelle le modèle américain de l’Africom.

En novembre, tout s’est accéléré. Balayé, le désengagement graduel imaginé à Paris. Si on laisse de côté quelques centaines de militaires français au Gabon et en Côte d’Ivoire, il ne reste de l’ancien bouclier militaire de la « Françafrique» héritée du siècle dernier que Djibouti. 

Djibouti est l’un des micro-États les plus puissants de la planète, un carrefour stratégique posé sur la pointe de la corne de l’Afrique entre la mer Rouge et l’océan Indien où transite 15% du trafic maritime mondial. Voilà pourquoi une grande partie de son économie repose sur la location de terres. La France n’est pas seule avec sa base militaire et ses 1500 soldats. La Chine est là aussi, « route de la soie » oblige, et les États-Unis, avec 4 000 hommes pour surveiller le Moyen-Orient. 

Dans tous ses plans de reformatage, la France a toujours exclu de toucher à Djibouti. Jean Marie Bockel ne s’est d’ailleurs pas rendu sur place et, en juillet dernier, le Président djiboutien Ismaël Omar Guelleh a signé à Paris un accord renouvelant le partenariat de coopération militaire pour les vingt années à venir. Si l’intérêt stratégique de Djibouti ne change pas sur la route de l’Océan Indien, elle peut, comme toute plateforme logistique, avoir de multiples usages. 

Bousculée par les coups d’État, chahutée par une vague populiste anti-occidentale, dérangée dans son pré carré par les manœuvres de la Russie, la France a presque mis fin à toute présence militaire bilatérale en trois ans. Pouvait-elle faire autrement ? 

« Après la chute du mur de Berlin, la France, en tant qu’ancienne puissance coloniale, s’est retrouvée dans un anachronisme historique vis-à-vis de l’Afrique, » souligne Antoine Glaser, auteur de l’ouvrage Le Piège Africain de Macron (Éditions Fayard). Avant d’ajouter : « Nos partenaires européens faisaient des affaires tandis que nous étions restés dans une posture de sécurité, comme au temps de la guerre froide. Du coup l’armée française s’est retrouvée hors sol dans une Afrique mondialisée ». 

Pierre Benoit