Le pape de Bolloré
Prélat ultraconservateur, le cardinal guinéen Robert Sarah, longtemps présenté comme marginal dans l’Église, figure désormais sur la (longue) liste des « papabile ». Hasard ou lobbying énergique : il est soutenu depuis des lustres par le groupe Bolloré…
Le 7 juillet 1922, la rédaction de Paris-Match s’émouvait d’un choix de « Une » qui lui a totalement échappé : en passe d’être racheté par Vincent Bolloré (qui s’en débarrassera un peu plus tard), l’hebdomadaire, qui se gardait jusque-là d’un militantisme trop affirmé, a mis en couverture la photo d’un inconnu du public, le cardinal Robert Sarah, évêque guinéen et fonctionnaire du Vatican au positions réactionnaires très affirmées.
Trois ans plus tard, le même Robert Sarah, à peine plus connu, sinon des aficionados de CNews, du JDD ou d’Europe 1, (ça fait quand même du monde), se retrouve couché sur la liste des « papabile » par la plupart des journaux qui se risquent au jeu des pronostics pré-conclave. Pendant ces trois années, il a été l’invité régulier des médias Bolloré, accueilli avec un pistolet à confiture par tous les animateurs du groupe et interrogé avec une complaisance qui a souvent passé les bornes du ridicule. Depuis la mort du pape François, comme le remarque le Parisien, il est l’objet d’une campagne obsessionnelle de promotion menée avec une admirable vigueur par les réseaux numériques de la fachosphère.
Rien d’étonnant quand on connaît un tant soit peu la teneur des augustes propos du poulain bolloréen. « Ce que le nazisme et le communisme étaient au 20ème siècle, l’homosexualité occidentale et les idéologies abortives et le fanatisme islamique le sont aujourd’hui », déclare-t-il ainsi lors d’un synode en 2015.
Au Figaro, lui aussi gagné par cette sarahmania, il se fait le chantre de la théorie du « grand remplacement » chère à Renaud Camus : « Les statistiques montrent qu’il y aura dans un avenir très proche un grave déséquilibre culturel, religieux et démographique en Occident. Décadent, sans enfants, sans familles, l’Occident disparaîtra, noyé et éliminé par une population d’origine islamique. L’Occident a renié ses racines chrétiennes. Mais un arbre sans racines meurt ». Du Pascal Praud dans le texte… Il défend avec le même aplomb dogmatique le célibat des prêtres et des diacres, tout comme il prône, à l’inverse de Vatican II, l’idée que le prêtre qui dit la messe doit tourner le dos aux fidèles à partir de l’offertoire, à l’instar des intégristes du rite de Saint Pie X.
Avant même que quiconque ne s’en inquiète, la même fachosphère stigmatise les réactions de la gauche (qui n’ont pas eu lieu à ce jour) en s’étonnant qu’on puisse avoir une objection à la nomination d’un pape africain, candide projection sur l’adversaire d’un réflexe propre à l’extrême-droite, qui consiste à juger les gens sur la couleur de leur peau… Or l’origine du prélat n’a évidemment rien à voir avec l’affaire. Indépendamment de ses racines, Sarah est surtout un facho en soutane. Les vaticanologues ne donnent pas cher des chances de ce croisé, par trop excentré en comparaison des courants dominants de l’Église catholique. Mais si par malheur il était élu, on devrait bien y voir une nouvelle victoire du nationalisme identitaire à l’échelle mondiale, favorisée en France par les petits soldats agressifs de l’empire Bolloré.