Le Parlement ridicule

par Laurent Joffrin |  publié le 26/10/2025

On se plaint volontiers de la « monarchie républicaine » inhérente à la Vème République. Mais si le Parlement échoue à doter la France d’un budget, il sera discrédité auprès de l’opinion et il aura renforcé les partisans d’un exécutif fort, voire d’un régime autoritaire.

portrait de Laurent JOFFRIN (Photo Philippe-Matsas, 2020)

Ils sont compliqués, tortueux, byzantins, ces débats sur le budget 2026. Les manœuvres succèdent aux combines, les amendements recèlent des coups de billard à trois bandes, les réunions secrètes semblent l’emporter sur les débats publics.

Mais n’est-ce pas le moyen unique d’arriver à un compromis entre des partis opposés, de concilier droite et gauche républicaines, de réunir la carpe et le lapin, de marier l’eau et de feu ? C’est-à-dire de réunir la droite et le centre attachés à la réduction des dépenses, serait-elle socialement injuste, et la gauche vouée à la taxation des riches, serait-elle économiquement néfaste, autour d’un budget de compromis ?

Plutôt que de gloser sur les obstacles qui se dressent devant un quelconque accord entre députés opposés, les commentateurs seraient avisés d’examiner l’autre branche de l’alternative. Si l’Assemblée échoue à accoucher d’un budget avant Noël, il sera dit que, décidément, ces bavards de l’Assemblée ne sont bons à rien, que le nouveau « régime des partis » mène la France à l’impuissance et au désordre, et donc que la seule issue réside dans l’avènement d’un pouvoir fort qui saura prendre les décisions qui s’imposent.

Dans les années cinquante, la même situation – un régime parlementaire incapable de se hisser à la hauteur de l’événement – a débouché sur la prise de pouvoir du Général de Gaulle, qui a fort heureusement refusé de devenir un dictateur pour mettre en place la constitution de la Vème République. Référence honorable, dira-t-on. Sauf que cette fois, la gagnante de la crise, ce n’est pas un général somme toute républicain, mais l’héritière de ses adversaires collabos : Marine Le Pen, qui affecte de mépriser les débats en cours à l’Assemblée, et qui a pour seule ascendance un courant de pensée notoirement pétainiste.

Ainsi les députés qui débattent du budget ont entre leurs mains, en fait, l’avenir de la République. S’ils démontrent que l’Assemblée peut, in fine, éviter une nouvelle crise politique en négociant un compromis, certes imparfait, mais crédible, ils auront conforté les institutions démocratiques. Mais s’ils échouent pour de misérables questions de calcul électoral ou de gloriole partisane, ils auront ouvert la voie à l’instauration d’un régime fort et xénophobe.

Laurent Joffrin