L’ânerie du patron des patrons
L’obstination irresponsable du Medef sur le dossier de la pénibilité a fait échouer le conclave sur les retraites et provoque la reprise en mains de la discussion par François Bayrou. Une seule solution : tordre le bras de Patrick Martin.

Il a raison, François Bayrou, de ne pas se résoudre à l’échec sur le conclave des retraites, alors qu’après quatre mois de négociations, l’accord qu’il qualifiait d’« historique » était à deux doigts de se conclure. Sans la nommer, il reconnaît que la CFDT a accepté les conditions qui lui étaient posées, à savoir respecter l’équilibre des retraites à l’horizon 2030 et surtout ne pas revenir sur le sacro-saint âge légal de 64 ans, acté par la réforme Macron de 2023, et pour lequel le syndicat prônait plutôt les 63 ans.
Ces deux concessions fondamentales une fois accordées, Marylise Léon avait besoin de contreparties. L’amélioration de la retraite des mères de famille a fait consensus, tout comme le changement de gouvernance des retraites grâce auquel le patronat et les syndicats récupèreraient la gestion assurée aujourd’hui par l’État, à la grande satisfaction des partenaires sociaux. Deux sujets restent à régler : la pénibilité et l’abaissement du taux plein de 67 à 66,5 ans pour lesquels le Medef refuse obstinément de lâcher sa quote-part de financement.
« Je ne peux pas accepter que l’on se satisfasse d’échouer si prêt du but. Il y a une voie de passage », assène François Bayrou qui monte en première ligne en personne pour recevoir à Matignon les partenaires sociaux. Va-t-il tordre le bras de Patrick Martin, le patron du Medef qui depuis les quatre mois que durent les négociations ne veut rien céder ?
À la suite d’une réunion de ses membres la veille au siège du Medef, le patron des patrons a été jusqu’à durcir le ton lors d’une conférence de presse inopinée, pour expliquer qu’il refuserait de payer en tout état de cause. « Sous couvert de pénibilité, ils masquent leur souhait que de nombreux Français puissent partir avant l’âge légal », dénonce un de ses proches pour justifier cette attitude injustifiable.
En réalité, la réforme des retraites de 2023 avait omis d’inclure le critère de pénibilité qui existait pourtant en 2017, à savoir la possibilité pour les salariés qui travaillent dans les conditions les plus difficiles, et dont l’espérance de vie est en moyenne plus courte, de partir plus tôt à la retraite. Tout l’enjeu est de la réintroduire aujourd’hui, ce qui concernerait plusieurs millions de salariés et coûterait plusieurs milliards d’euros. « Le patronat a fermé la porte aux syndicats, notamment sur la proposition que les salariés les plus exposés à la pénibilité n’aient pas le même effort à faire que les autres », tance la CFDT. Soutenue par la CFTC qui renchérit : « si l’accord ne se fait pas, c’est à cause des organisations patronales » et par la CFE-CGC qui pointe la « grande responsabilité » du patronat qui n’a rien voulu céder.
L’unanimité des syndicats réformistes n’est pas anodine. La CGT et FO ayant claqué la porte des négociations dès le début, il revenait au patronat français de s’entendre avec les organisations prêtes à discuter, quitte à payer le prix du dialogue social dans un pays où le consensus sur la politique de l’offre a multiplié les avantages offerts aux entreprises.
Dans un récent rapport, la Cour des comptes pointait que les dispositifs d’exonération des charges sociales patronales ont représenté une perte de recettes directes de 77,3 milliards d’euros en 2024 pour la sécurité sociale. « Cette accumulation de mesures d’allègements généraux de cotisations sociales non compensées ou compensées partiellement alimente les déficits de la sécurité sociale ».
Certes, les exonérations sur les bas salaires ont contribué à créer environ un million d’emplois. Mais les autres – 4 à 5 milliards d’euros sur des niveaux de salaires plus élevés – n’ont pas été compensées par des créations d’emplois.
Malgré cette manne, Patrick Martin ne veut rien entendre et exige que ce soient les retraités et eux seuls qui financent toute mesure sur la pénibilité. La vérité est que depuis le premier jour, il ne veut rien lâcher. Une posture dangereuse quand on sait ce qu’a coûté la mise à l’arrêt du pays – un point de croissance – après la censure votée contre le gouvernement de Michel Barnier, un risque désormais couru par François Bayrou, tant la gauche a fait du succès de ce conclave la condition de la non-censure. S’il perd le Parti socialiste sur ce sujet, le Premier ministre sait qu’il se retrouvera à la merci du Rassemblement National, qui peut lever ou baisser le pouce quand il le souhaitera.
Dans la plupart des pays européens, le dialogue social permet aux entreprises de fonctionner. Pas en France. Pour contenter ceux qui l’élisent, le patron des patrons fait preuve d’une irresponsabilité à nulle autre pareille pour son pays. François Bayrou réussira-t-il à lui faire entendre raison ? Car l’échec, quoiqu’il en soit, serait aussi celui du Premier ministre qui, en mettant tout son poids dans la balance, devient le premier comptable de l’issue finale.