Le Pen : la leçon de Mayotte
En répondant mal au Rassemblement national sur les thèmes de l’immigration et de la sécurité, droite et gauche l’ont favorisé. La preuve par Mayotte.
Cela paraît contre-intuitif : Marine Le Pen accueillie à bras ouverts à Mayotte, où elle a recueilli près de 60% des voix au second tour de la dernière présidentielle, dans un archipel où 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté. La dirigeante d’extrême-droite, dont le parti est l’héritier direct de celui de Jean-Marie Le Pen, raciste et antisémite patenté, ne semble souffrir en rien de cet encombrant passé. Un tour de force ou la faute de ses adversaires ?
Marine Le Pen revient endeuillée de son voyage mais fière de sa performance dans l’archipel, beaucoup mieux reçue que les précédents visiteurs des zones dévastées par le cyclone et sans qu’aucune manifestation anti-raciste ne soit organisée contre elle. Au contraire, elle bénéficie de la bienveillance locale. Elle se plaît à se transformer en avocate des Mahorais en détresse et à rappeler qu’elle a été la seule à soulever avec force le problème de l’immigration galopante qui sape tous les efforts déployés par la métropole.
Le cas de Mayotte est politiquement éloquent. Tout le monde y a fait le lit de l’extrême-droite. A force de ne pas vouloir voir les réalités, d’être sourdes aux demandes, d’être gênées par les mesures à prendre, les autorités parisiennes ont laissé se développer une situation insupportable. Quelle que soit la couleur du pouvoir en place, c’est l’impuissance. Résultat : le RN rafle la mise. Droite et gauche sont responsables.
Voilà déjà vingt ans, le ministre de l’Outremer François Baroin alertait sur la situation incontrôlable et suggérait de faire évoluer le droit du sol. Lever de boucliers ! Même ses amis lui ont reproché de toucher à ce tabou républicain. Zéro résultat. Aujourd’hui, trois membres du gouvernement Bayrou (Lecornu, Valls, Retailleau) signent une tribune allant dans le même sens, mais sont contredits par Elisabeth Borne, qui juge que ce n’est pas « la bonne voie à suivre » pour régler le problème. Le sujet est sur la table mais on tourne en rond.
La gauche, elle, est aux abonnés absents. Quelques belles âmes proposent d’aider les Comores à se développer pour que sa population ne soit plus incitée à se déverser sur l’archipel voisin, certes démuni (80% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté), mais beaucoup mieux loti que l’ancienne colonie française. En dehors de cette intention louable mais peu réaliste, on n’entend rien, ni sur l’immigration illégale, ni sur l’insécurité endémique. À l’arrivée, pas étonnant qu’il n’y ait aucun député de gauche…
C’est une leçon au niveau national. Si le FN et, davantage encore, le RN ont pu détourner des partis traditionnels tant d’électeurs de droite comme de gauche, c’est en grande partie parce que ces derniers ne répondaient pas à la demande de citoyens exaspérés. Tous ne sont pas des racistes xénophobes voyant le mal derrière chaque immigré. A force de laisser le champ libre à l’extrême-droite qui, comme disait Laurent Fabius, « pose de bonnes questions en y apportant de mauvaises réponses », les solutions radicales ont trouvé des adeptes.
La gauche vit terrifiée à l’idée que l’on puisse l’accuser de favoriser la montée du RN en empruntant ses thèmes. La droite a longtemps été tétanisée par la menace d’être frappée du même opprobre…par la gauche. Le piège absolu. Une partie de la droite « décomplexée » tente bien d’avancer des mesures de fermeté. Elles sont immédiatement suspectées d’être antirépublicaines et suscitent la division. Jean-Marie Le Pen, en préemptant les questions d’immigration et de sécurité, a inoculé un double poison dans la démocratie française : en nourrissant le racisme par ses propos et en empêchant l’arc républicain de venir efficacement sur son terrain.
Trouver des solutions de gauche sociale-démocrate ou de droite raisonnable pour remplacer les mauvaises réponses de Marine Le Pen est un des principaux défis de la prochaine présidentielle. Sinon, à travers sa fille, l’homme de La Trinité-sur-Mer, désormais mort et bientôt enterré, risque de triompher. A titre posthume.