Le Pen : la stratégie du mensonge

par Laurent Joffrin |  publié le 01/04/2025

La défense-attaque de Marine Le Pen contre la justice repose sur une somme de contre-vérités énormes que les médias oublient souvent de rappeler.

Laurent Joffrin

Attaquer, attaquer, toujours attaquer, ne jamais reconnaître une erreur… Cette devise chère à Donald Trump est devenue celle de Marine Le Pen dans l’affaire des vrais-faux assistants parlementaires. L’ennui, c’est que cette stratégie repose sur une somme de mensonges rarement vue dans la chronique politico-judiciaire de la Vème République. Revue de détail…

Marine Le Pen clame depuis quinze ans qu’elle et son parti sont blancs comme neige dans cette affaire, qu’il n’y a eu aucun détournement de fonds et que l’accusation repose sur un dossier vide. Mensonge : en mettant les assistants de ses députés européens au service de la structure centrale du parti, la cheffe du RN a enfreint continûment la loi pendant plus de dix ans, en dépit de tous les avertissements.

Le Parlement européen finance en effet l’emploi d’assistants chargés d’aider les députés dans leur travail, qu’il soit législatif ou politique, mais il n’est en aucun cas chargé d’aider au fonctionnement des partis politiques de l’Union dans leur activité nationale. Il n’a aucune vocation, par exemple à financer le salaire du garde du corps de Jean-Marie Le Pen, ni celui de son majordome. Les partis français, au demeurant, sont déjà subventionnés à grand prix par l’État, selon nombre de voix qu’ils obtiennent dans les différents scrutins. Le Parlement européen n’est pas une vache à lait.

Sous cet angle, la lecture des preuves rassemblées par les enquêteurs est accablante. Un seul exemple (il y en a beaucoup d’autres) : dans un mail interne Jean-Luc Schaffhauser, député européen lepéniste, a écrit : « Ce que Marine nous demande équivaut [à ce] qu’on signe pour des emplois fictifs. (…) Je comprends les raisons de Marine, mais on va se faire allumer. » Ce à quoi son interlocuteur (du RN) répond : « Marine sait tout cela. »

Marine Le Pen dénonce depuis le début une opération politique montée par ses adversaires. Mensonge. Certes, la procédure a été initiée il y a une quinzaine d’années par Martin Schulz, président socialiste du Parlement européen, qui a saisi en 2015 l’Office de Lutte Anti-Fraude (OLAF), après avoir constaté que 20 des 24 assistants parlementaires des députés européens FN figuraient dans l’organigramme du parti. Mais Schulz a quitté son poste en 2017 (il y a huit ans) et le Parlement est resté partie civile dans l’affaire jusqu’à aujourd’hui.

L’Office de Lutte Antifraude (OLAF) est aujourd’hui dirigé par un ancien député finlandais d’un parti conservateur. Mieux : en juin 2018, le Tribunal de l’Union européenne, composé de personnalités indépendantes, déboute Marine Le Pen de ses demandes. Le pourvoi contre cette décision est rejeté par la Cour de justice de l’Union européenne en mai 2019. On voit mal en quoi cette procédure est partisane, d’autant que le Modem a été lui aussi mis en cause et que l’OLAF enquête en ce moment sur les agissements de Jean-Luc Mélenchon.

Marine Le Pen accuse également les juges français chargés de l’affaire d’être « politisés » et de sortir de leur fonction judiciaire. Mensonge. L’affaire a été traitée par les magistrats du parquet, la procédure a été validée par la Cour d’appel de Paris, l’accusation a été formulée par des procureurs et la décision finale rendue par trois juges du siège (et non la seule présidente) dont aucun, soit dit au passage, n’est membre du syndicat de la Magistrature. Croit-on sérieusement que tous les magistrats se soient donné le mot pour commettre d’une injustice ? Croit-on qu’ils soient tous partisans et qu’ils auraient tous trahi les devoirs de leur charge pour des raisons de tactique politique ?

La décision est contraire aux lois, dit encore Marine Le Pen, elle consacre la « tyrannie » des juges. Mensonge. Le tribunal a appliqué une loi sur l’inéligibilité votée à une large majorité par l’Assemblée nationale, contre lequel le RN n’a pas protesté. Marine Le Pen avait même demandé, quelques années auparavant que de tels faits soient punis d’une « inéligibilité à vie ».

L’exécution provisoire, dit enfin Marine Le Pen, est une mesure exorbitante du droit. Mensonge. Elle figure dans l’arsenal des sanctions prévues par les textes. Certes, les magistrats auraient pu ne pas la prononcer. Mais Marine Le Pen oublie volontairement – autre mensonge – de citer les arguments avancés dans le jugement. Outre la tactique dilatoire employée par le RN depuis dix ans, seule explication du retard de la décision, les responsables du parti continuent de nier l’évidence et se réfèrent à des règles qui sortent de leur imagination pour se proclamer innocents. Cette négation des faits, estiment les magistrats, comme ils le font dans d’autres affaires, emporte avec elle le risque de récidive. Ils ajoutent que l’élection à la présidence de la République d’une candidate condamnée sur la base d’un dossier aussi accablant serait un « trouble à l’ordre public ». Une fois avoir pris connaissance du dossier, qui peut nier que cette élection poserait un problème démocratique grave ? Faut-il mettre à l’Élysée une personne condamnée en bonne et due forme en fonction de faits patents ? Le moins qu’on puisse dire, c’est que la question se pose… Quant à la victimisation utilisée par le RN, elle tombe d’elle-même : la Cour d’appel a annoncé qu’un nouveau procès aurait lieu pendant l’été 2026, soit neuf mois avant la présidentielle. Dernier mensonge…

Laurent Joffrin