Le Pen-Tapie : les liaisons secrètes

par Valérie Lecasble |  publié le 07/01/2025

Ces deux-là se sont retrouvés sur le même terreau, celui du populisme. Si l’un est à l’extrême-droite, l’autre est entré en politique à gauche. Mais parfois, leurs intérêts se rencontrent comme l’a révélé le livre « Le Flambeur » (*)

Jean-Marie Le Pen et le député des Bouches-du-Rhône Bernard Tapie, avant un débat politique à France Télévision le 1er juin 1994. (Photo GEORGES BENDRIHEM / AFP)

Années 1980. Jean-Marie Le Pen a démarré son ascension politique sur le terreau de la crise et les prémices du chômage de masse grâce à un populisme qui bouscule la classe politique traditionnelle. A la télévision, il crève l’écran. En 1983, le score de son candidat Jean-Pierre Stirbois à Dreux donne pour la première fois au FN l’accès au conseil municipal.

François Mitterrand qui cherche à le faire monter en puissance pour diviser la droite, demande qu’il soit l’invité de l’Heure de Vérité, l’émission politique phare d’Antenne 2, le 13 févier 1984. La gouaille de Jean-Marie Le Pen, ses outrances et sa radicalité cartonnent et le font entrer par la grande porte dans le paysage politique. Dès lors, les chaînes de télévision multiplient les invitations.

Le 5 décembre 1989, Jean-Marie Le Pen participe à Duel sur la Cinq présenté par Jean-Claude Bourret face à Lionel Stoléru à qui le leader du Front National demande s’il a ou non la nationalité israélienne parce qu’il est juif. Quelques jours plus tard, le 8 décembre 1989, TF1 l’a invité à une grande émission politique sur l’immigration. La chaîne de télévision cherche celui qui acceptera de l’affronter. L’un après l’autre, les hommes politiques contactés déclinent la proposition. Interrogé, Michel Rocard alors Premier ministre, refuse à son tour via son directeur de cabinet, Jean-Paul Huchon qui souffle l’idée d’inviter … Bernard Tapie.

L’homme d’affaires est en pleine ascension et rencontre un beau succès avec son émission de télévision. Ses codes coïncident avec ceux de Jean-Marie Le Pen : origine populaire, langage direct qui n’hésite pas à flirter avec l’invective. Bernard Tapie accepte et prépare l’émission avec le conseiller en communication de François Mitterrand, Jacques Pilhan. A cette occasion, il lance : « le borgne, je vais me le faire aux poings en direct ».

Promesse tenue, sur le plateau de TF1, Bernard Tapie sort les poings le premier et le débat vire au pugilat. « Regardez-moi et regardez-vous », jette-t-il à son adversaire du Front National. L’homme d’affaires recevra un coup de fil de félicitations de François Mitterrand pour sa prestation. Tapie s’érige à gauche comme le chef de file du combat contre le FN.

Élu député de Marseille quelques années plus tard, il gagne auprès du peuple son bâton de maréchal. Jusqu’à être intronisé par Laurent Fabius comme tête de liste socialiste de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) lors des élections de 1992, où il se promet de battre le FN avec le slogan : « Ici, on va étonner la France ». Le 22 mars 1992, la liste de Bernard Tapie réalise un bon score, en particulier dans les Bouches du Rhône où avec 26,49 % des voix, il devance Jean-Claude Gaudin qui en recueille 26,15%.

Mais dans les autres départements, Jean-Louis Bianco, Elisabeth Guigou, Roger-Gérard Schwartzenberg et Daniel Hechter sont à la traîne. Au total, la liste Gaudin récolte 43 élus quand celle de Tapie n’en obtient que 30. Le Front National le devance avec 34 élus, soit 9 de plus qu’en 1986. Avec le jeu des ralliements, l’élection du président de la région PACA au troisième tour est entre les mains du FN. Si celui-ci reste neutre, Bernard Tapie peut remporter la région.

Démarre alors une négociation avec l’aide de son ami Benoît Bartherotte, qui fait l’intermédiaire et multiplie les rendez-vous pour que Jean-Marie Le Pen n’apporte pas ses voix à Jean-Claude Gaudin. Tapie et le leader du FN topent là. Vendredi 27 mars 1992, au troisième tour décisif du vote des nouveaux élus pour l’élection du président de région, Jean-Marie Le Pen se lève théâtral, et lance : « puisque c’est comme ça, on se lève et on sort ». L’accord entre Tapie et Le Pen ne fait guère de doute même s’il ne suffira pas à l’homme d’affaires pour être élu.

Cette attitude bienveillante du FN envers Tapie sera réitérée lors des élections législatives de 1993 dans la circonscription de Gardanne où le candidat du Front, Damien Bariller se maintient au second tour, ce qui profite à Bernard Tapie, plutôt que de se désister pour le candidat de la droite. Entre populistes qui se comprennent, on ne s’interdit rien, même pas de pactiser avec le diable.

(*) Le Flambeur, la vraie vie de Bernard Tapie – Grasset -1994

Valérie Lecasble

Editorialiste politique