Le phénomène du retour de foi
Tandis que le pape François s’est éteint, le constat d’une lente déchristianisation, commencée dès la fin du XIXe, semble interrompu en France. La gauche politique, alors athée ou sourcilleusement laïque, n’a pas perçu le retour de flamme auquel nous assistons, porté par les nouvelles générations.
Baptêmes par centaines durant la nuit pascale, multiplication par trois de ceux-ci entre 2021 et 2025 – plus de 60% en 10 ans -, la tranche des 18-25 ans se porte à l’avant-poste de ce retour de foi, sans qu’il soit comparable, pour l’heure, aux États-Unis d’Amérique. Si ce retour en grâce est d’abord féminin pour près des deux-tiers, il touche prioritairement deux catégories sociales de la population : les étudiants à près de 27% et les ouvriers, techniciens et employés à près de 36%. Aussi surpris que les vieux laïques décontenancés, l’épiscopat se garde bien d’avancer des explications savantes, tout juste se satisfait-elle de cette nouvelle révélation, tombée du ciel.
Le support principal de cette reprise de foi se nomme réseaux sociaux. Les chemins du seigneur vivent avec leur temps. Ainsi, les influenceurs pas forcément les plus férus en catéchuménat, distillent conseils aux novices avec des phénomènes parfois désopilants. La période de carême, commencée le 9 mars dernier, s’est traduite par des « bon carême » viraux sur la toile et dans les établissements scolaires avec une volonté manifestement prosélyte.
Car, dans ce retour partagé des croyances, il s’agit aussi de s’afficher face à l’enracinement des pratiques de l’Islam, notamment à l’occasion du ramadan. Dans un parallèle assez peu catholique, le mois de jeûne et de soumission à Allah, se présente aux néo-convertis comme un pâle parallèle des 40 jours de jeûne de Jésus-Christ dans le désert. Le recul laïque, glorifiant les origines séculaires, la culture familiale et la transmission religieuse comme socles indépassables de l’identité, n’a donc pas seulement eu des effets dans les quartiers populaires structurés par la religion musulmane. En écho et sans doute en contre-point, il permet un retour du christianisme, prosélyte et messianique, qui n’apparait pas toujours comme le plus rédempteur et le plus ouvert aux autres.
Existe-t-il une traduction politique de ce regain chrétien ? Difficile à affirmer pour l’heure, même si la droite nationaliste tente de le capter, à la mode trumpienne. Zemmour comme Le Pen ont flairé l’utilisation identitaire qu’ils pouvaient en faire, facilement exploitable auprès de jeunes en quête de sens et de grands récits. Sur les réseaux sociaux, leurs comptes rappellent leur filiation. La France est toujours la fille aînée de l’Église, non celle des Lumières et de l’héritage révolutionnaire. Surtout, la coloration chrétienne et catholique permet de réactiver la guerre de civilisation, chère à tous les intégristes du globe, à commencer par les barbus et leurs idiots utiles.
Une leçon supplémentaire pour les gauches. À force d’avoir déserté le terrain des idées, tenu un discours ambigu sur le progrès pour une partie d’entre-elle, entretenu le silence sur la science, les religions ont occupé l’espace politique laissé vacant. L’Église n’a jamais échappé à la lutte d’influence entre progressistes, traditionnalistes et réactionnaires. L’effort réformateur de François, lorsqu’il était encore en mesure de le mener, en a donné un aperçu, à rebours de la dernière visite de Vance, le néo-fasciste, au Vatican.
En France, les crimes sexuels de l’Église n’ont finalement eu que peu d’échos. Le comportement de l’Abbé Pierre, connu dès 1955 par le Vatican, n’a pas débouché sur un questionnement plus fondamental, ne serait-ce qu’auprès des croyants. L’affaire Bétharram ne s’est pas traduite par une diminution du nombre d’enfants scolarisés dans le privé.
Tandis que nos voisins allemands indiquent pour la première fois une majorité relative de citoyens athées, agnostiques ou sans confession à 47%, devant les religions chrétiennes à 45%, la France se singularise, comme souvent.