Le « Point Le Pen », nouveau « Point Godwin »
Sans comparer Marine Le Pen à Hitler, force est de constater que tout débat politique finit invariablement par se rapporter au Rassemblement National et à ses positions. Le « point RN » est devenu l’équivalent du « point Godwin ».
Pour rappel, la théorie du point Godwin stipule que plus une discussion dure, plus la probabilité qu’une référence à Adolf Hitler apparaisse augmente.
Depuis la percée du Front National dans les années 1980 et l’exposition de Jean-Marie le Pen, tant dans les médias que dans les cercles politiques, une mauvaise habitude s’est installée : juger toute action ou prise de position à l’aune de ce qui a été dit ou décidé par le FN-RN : immigration, sécurité, économie, Europe… Chaque débat semble structuré par le besoin vital de se différencier ou de converger avec Marine Le Pen. Ce réflexe est un poison lent pour la vie politique française.
Les médias y contribuent aussi largement, puisqu’ils écrivent et évaluent les politiques selon leur degré de proximité avec le RN. Résultat ? Le RN devient le mètre étalon du débat public, une référence incontournable qui structure l’agenda politique, comme le dollar sur les marchés financiers. C’est faire trop d’honneur à Marine Le Pen et lui faciliter la tâche en vue des prochaines présidentielles. En la désignant comme adversaire unique, on légitime son rôle central, on l’aide à fixer les termes du débat et, pire, on lui donne le privilège d’imposer son tempo.
Cela a été le cas lors des dernières élections européennes, où tout a été fait, pensé et débattu en fonction du positionnement de Jordan Bardella. On l’a encore vu depuis les législatives anticipées de juin-juillet qui ont consisté à faire voter selon le risque RN. Désormais, avec un bloc de 143 députés (incluant l’UDR d’Eric Ciotti), le RN pèse dans les débats parlementaires, peut renverser les gouvernements – comme ce fut le cas pour Michel Barnier – et oriente l’ensemble du jeu politique.
Tout cela nous renvoie à la bataille culturelle. Marion Maréchal et son entourage l’ont bien compris, depuis des années : avant d’être électoral, le combat doit être culturel. La conquête du pouvoir passe par la conquête de l’opinion publique. Et cette bataille est perdue dès lors que l’on cède à la facilité en laissant le RN dicter les sujets du débat.
L’exemple de Gabriel Attal lors de la campagne des européennes 2024 est frappant. Dans un discours de soutien à Valérie Hayer, il a passé une heure à parler du RN et de Jordan Bardella. Résultat ? Bardella a ironisé sur X : « Une obsession maladive pour le RN. Rien sur l’Europe, rien sur la France, rien pour les Français. » Ce type de posture ne fait que renforcer l’adversaire.
La victoire politique, et dans les esprits, appartient à ceux qui sauront proposer un projet politique autonome, capable de rassembler largement sans se positionner en permanence « pour » ou « contre » le RN. Une présidentielle ne se gagne pas uniquement sur l’opposition à un adversaire, mais sur une vision forte et crédible. Si la classe politique veut proposer une alternative crédible pour 2027, elle doit cesser de tourner en orbite autour du RN.