Messine : le pont qui divise
Relier la Sicile à l’Italie en 15 minutes : le projet en fait rêver certains grincer d’autres…
Le projet de pont sur le détroit de Messine est un sujet incontournable cet été dans la Péninsule. Généreux en apparence, puisqu’il permettra enfin de relier l’île de Sicile au continent italien, mettant fin à une discrimination territoriale complexe. Coûteux et pervers, disent au contraire ses adversaires, avec quelques bonnes raisons. C’était en tout cas le thème de la conférence de presse des « anti-Pont », le 31 Juillet à la Chambre des Députés à Rome.
C’est vers 1850 que débute la saga du Pont, au nom de la continuité territoriale. Les Calabrais sont fatigués de saluer de loin leurs amis siciliens, et réciproquement, contraints comme ils le sont de perdre des heures pour rejoindre la rive d’en face, à 3 kilomètres de distance seulement, au moyen de ferries. Et voilà que le gouvernement de Giorgia Meloni remet la question sur le tapis avec son projet de pont suspendu (« le plus long des ponts suspendus du monde »), ses 3 666 mètres de long, ses 66 de large, pour un coût de 13, 5 milliards d’euros. Début des travaux en 2024. Il ne faudra plus que 15 minutes pour le parcourir, en train ou en voiture, contre les 2 bonnes heures actuelles. Tout va donc bien dans le meilleur des mondes ?
Avantages et risques
Il n’en est rien, car les avantages du Pont – la rapidité – ne cachent pas ses risques, ont souligné le 31 juillet les intellos, les techniciens et les responsables d’associations réunis à la Chambre des Députés à Rome. Ce pont suspendu est « un pont dangereux et un éco monstre », selon Guido Signorino, professeur d’Économie à l’Université de Messine. En soulignant la « fragilité géologique » de la zone, susceptible de tremblements de terre dévastateurs, comme celui de Messine en 1908. Pour faire remarquer ensuite qu’à cause des fortes oscillations du vent sur le détroit, il devra être fermé en moyenne 70 jours par an (ce qui exigera qu’on maintienne en service la roue de secours du vieux système de transport).
Mais par-delà ces problèmes techniques évidents, il convient de souligner, affirme Signorino, les « contradictions du projet par rapport à la législation européenne », qui prévoit un appel d’offres et donc la comparaison entre des propositions concurrentes. Pour le Pont de Messine il n’y en a pas eu. Puis il y a le caractère contradictoire du but avoué du Pont (l’augmentation du trafic routier) avec les priorités stratégiques de l’Union européenne pour le secteur des Transports. Enfin le Pont a été lancé sur le marché sans aucune consultation des communautés locales, qui ont été mises devant le fait accompli.
Conclusion de Signorino : ce Pont est « coûteux », « pervers » et « à risque », il a toutes les caractéristiques d’une « grande mystification ». Probablement « inventé pour redonner du lustre » à un gouvernement vacillant, comme diront certains universitaires engagés politiquement, Mais aussi désastreux que le Charybde et Scylla imaginé autrefois par Homère sur ce même trajet du détroit de Messine.