Indulgence d’État pour les écoles cathos

par Boris Enet |  publié le 02/05/2025

Malgré le scandale Bétharram et la prise de conscience légitime qui en résulte, le ministère de l’Éducation nationale ne prend pas la mesure du problème. Frilosité ou habitude ?

Le collège le Beau Rameau de Bétharram à Lestelle-Bétharram, le 29 mars 2025. (Photo de Angeline Desdevises / Hans Lucas via AFP)

Comme dans toutes les grandes tragédies, la responsabilité échoit rarement à un seul. Derrière la direction des établissements mis en cause et la couverture usuelle des crimes sexuels par l’épiscopat, l’État n’échappe malheureusement pas aux reproches. À l’instar des départements bientôt convoqués devant les tribunaux pour l’insoutenable fiasco de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) soumettant une partie des enfants confiés en marchandise, le ministère de l’Éducation ne peut plus continuer ses valses hésitations dès qu’il s’agit de l’enseignement privé, prétextant l’affrontement séculaire « des deux écoles ».

Dernière révélation en date de Médiapart, le rapport des inspecteurs généraux missionnés dans l’établissement Stanislas aurait été modifié dans ses conclusions, sans que ces derniers n’en aient été informés. Si tel est le cas, Caroline Pascal à la tête de l’IGESR (Inspection générale de l’éducation), promue depuis à la Degesco (Direction générale de la scolarité) s’en expliquera, au même titre qu’Amélie Oudéa-Castéra, ministre dont le passage-éclair est resté gravé dans les mémoires.

Il s’agissait en effet de jauger le climat d’homophobie, de sexisme et d’autoritarisme dans cet établissement catholique qui accueille les enfants d’une partie des élites parisiennes. Cet évitement réitéré, déontologiquement injustifiable, ne rend service ni à l’institution scolaire, ni à la parole publique dans un contexte de grande fragilisation démocratique.

L’État dans l’État se décline également en matière de laïcité dans un climat de concurrence communautaire hautement inflammable. Comment accorder crédit à l’argumentaire d’Elizabeth Borne lorsqu’elle fait appel de la décision de justice rétablissant le contrat avec l’État du lycée musulman Averroès, si dans le même temps, les établissements catholiques bénéficient peu ou prou de passe-droits ?

Pour justifier son appel, la ministre évoque des « manquements graves aux principes fondamentaux de la République » et l’interdiction « d’accès à des inspecteurs de l’Éducation nationale » pour un établissement « financé à 75% par de l’argent public ». Elle a mille fois raison. Mais dans ce cas, en quoi le parallèle avec les établissements de confession catholique sous contrat ne s’appliquerait-il pas ? Or, la commission parlementaire ad hoc révèle la date du dernier contrôle de Notre Dame de Bétharram dans des circonstances manifestement baroques. C’était il y a 29 ans !

Et puis, l’omerta serait inefficace sans le concours parental et celui des organisations syndicales enseignantes de ces établissements, toute honte bue. Dans un corporatisme désuet dont il n’a malheureusement pas le monopole, le porte-voix du syndicat Snec-CFTC rappelle que l’établissement d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier. Encore heureux.

Pourtant, le rapport de l’Inspection générale pointant des manquements, mais aussi des propos humiliants et déplacés de deux enseignants encore récemment, est public. Qu’à cela ne tienne : « Il faut écouter les élèves, mais aussi confronter leur parole à la réalité » ! Dénonçant le « stress chez les collègues qui ont besoin de sérénité », la branche de l’enseignement confessionnel de la CFTC et deux autres organisations syndicales saluent dans un communiqué « le courage des victimes » libérant la parole et « condamne avec force les maltraitances subies », le 26 avril dernier.

Il aura fallu trois bons mois, dans un élan de bravoure qui force le respect, pour entendre les organisations professionnelles s’exprimer entre maladresse et déni.

La gestion des établissements privés sous contrat, scolarisant près d’un jeune sur cinq, de manière très inégalement répartie sur le territoire, ne peut rester en l’état. Les confortables subventions de la nation dans un contexte de disette budgétaire, ne peuvent se justifier qu’avec un cahier des charges scrupuleusement tenu, où l’exigence de sécurité pour les enfants est première.

Cela n’a pas été le cas, cela n’est toujours pas le cas, alors que les éléments à charge s’accumulent. Une situation intolérable qui réhabilite, par-delà les circonstances et le rapport de force institutionnel de l’époque, la préoccupation émancipatrice d’Alain Savary en 1984, dénonçant, bien avant l’éclosion publique des scandales, un régime d’exception toléré puis sanctuarisé, en plein cœur de l’État.

Boris Enet