Le RN manipule la révolte des agriculteurs
La guerre entre la FNSEA et la Coordination rurale noyautée par le RN fait monter la pression sur le gouvernement Barnier, sur fond d’élections professionnelles. Elle coïncide avec l’agressivité retrouvée de Marine Le Pen.
Qui attise la colère des agriculteurs ? On a pu croire un instant à un simple coup de semonce à l’adresse d’Emmanuel Macron parti en Amérique du Sud batailler sur le Mercosur. Indice : les agriculteurs de la FNSEA ont levé dès lundi matin le barrage qu’ils avaient dressé un jour plus tôt sur la RN 118 près de Paris.
Mais le lendemain, la Coordination rurale a pris le relais dans le Sud-Ouest, multipliant les blocus depuis mardi, date de l’ouverture de son Congrès. La révolte a même un air de putsch : lors d’un coup de fil avec Michel Barnier, la section du Lot et Garonne réclame ni plus ni moins que la France renonce à surtransposer à l’agriculture française les normes européennes. Le Premier ministre acquiesce, donne sa parole mais les agriculteurs exigent de lui… un engagement écrit. Le Premier ministre transmettra la consigne aux sénateurs dans la journée, au moment où la ministre de l’Agriculture Annie Genevard déclare à l’Assemblée : « s’en prendre aux biens, s’en prendre aux personnes, bloquer durablement le pays, ce n’est pas acceptable ».
On ne comprend rien à cette surenchère si l’on oublie quel point les deux syndicats, le leader FNSEA et l’outsider Coordination rurale, se tirent la bourre en vue des élections de fin janvier où le second va tenter de détrôner le premier, tout juste majoritaire avec 51,5%.
Depuis la création en 1962 de la politique agricole commune (PAC), la FNSEA, rejointe par les Jeunes Agriculteurs, est l’interlocuteur historique du gouvernement français pour négocier les subventions que touche la France à Bruxelles. Proches de la droite traditionnelle, ses leaders successifs font consensus pour défendre les intérêts du monde agricole.
Ce duopole dure trente ans, jusqu’à la réforme de la PAC en 1992, qui remplace les traditionnelles aides à la production par des aides directes, dont certains agriculteurs craignent qu’elles ne protègent plus leurs revenus. En rupture avec les notables de la FNSEA qu’ils jugent trop conciliants, ils créent en 1992 la Coordination rurale sur le terreau de la révolte. Les plus radicaux se dressent contre l’ouverture des marchés, s’opposent à l’introduction de vaches polonaises en France, et défendent la fermeture des frontières.
Fondée dans le Gers, la Coordination rurale se développe dans le sud de la France, avec comme fer de lance le Lot-et-Garonne, département 47, qui réunit tous les métiers de l’agriculture, un modèle sous-représenté au niveau national. Portant des bonnets jaunes et brandissant des pancartes en faveur d’un « Frexit », ses dirigeants huent Emmanuel Macron lors du dernier Salon de l’Agriculture. « Des décideurs locaux de la Coordination rurale sont engagés de manière très officielle au Rassemblement National », s’indigne alors le chef de l’Etat. Accueilli à bras ouverts, Jordan Bardella lui donne raison quand il déjeune avec la présidente de la Coordination rurale, Véronique Le Floc’h, et ses collaborateurs. Reçue au mois d’octobre par Michel Barnier, celle-ci se dit « exaspérée » par le nouveau Premier ministre, accusé de ne pas avancer sur la loi d’orientation agricole.
Minoritaires, les radicalisés gagnent du terrain : ils pourraient remporter 19 chambres aux prochaines élections. La crise agricole rebat les cartes, surtout pour les plus fragiles : « Le monde rural va si mal qu’il bascule vers le RN », commente un céréalier de la région parisienne. Sur ce terreau, la Coordination rurale voit grandir son influence. De dissidente, elle devient combattante, aux côtés du Rassemblement National.
« La coordination rurale progresse là où le RN est implanté. Ils multiplient les passerelles », décrit Frédéric Monteil, directeur de cabinet du Conseil Départemental des Pyrénées Orientales, qui a entendu Louis Alliot, désormais visé comme Marine Le Pen par l’inéligibilité, lancer : « La FNSEA mène depuis 30 ans l’agriculture droit dans le mur ».
Dans l’Aude, le Gers, les Pyrénées Orientales, mais aussi en Ile-de-France, dans les Yvelines et en Seine-et-Marne, département 77, là où le RN réalise ses meilleurs scores, la Coordination rurale prospère et vient renforcer les alliés déjà connus de Jordan Bardella dans le monde rural comme Grégoire de Fournas, vigneron du Médoc célèbre pour avoir lancé à l’Assemblée Nationale « qu’ils retournent en Afrique », et Philippe Olivier, beau-frère de Marine le Pen. Pas de doute, entre la Coordination rurale et le RN, les luttes convergent.