Le RN se met aux normes

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 12/06/2025

Revirement à l’extrême-droite en matière d’orthodoxie budgétaire : en adoptant la règle des 3% pour le déficit et le principe d’une règle d’or, le parti de Marine Le Pen fait un pas important vers l’acceptabilité économique.

Jean-Philippe Tanguy, député du groupe RN, s'exprime sur la contribution du groupe RN au rapport de la commission d'enquête analysant les raisons des dérapages budgétaires à l'Assemblée Nationale, le 10 juin 2025. (Photo Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP)

La conférence de presse de Jean-Philippe Tanguy, député de la Somme et expert économique du RN, est passée un brin inaperçue, lundi, dans la tempête médiatique déclenchée par le drame de Nogent. Elle est néanmoins importante car elle marque un tournant dans la doxa de son parti. Voilà Tanguy, pourtant plutôt un habitué des provocations, rentré dans le rang de l’orthodoxie budgétaire. Vive les 3% et la règle d’or ! C’est une première sous le ciel lepéniste.

Que dit notre trublion assagi ? Il affirme « être préoccupé par l’avis des marchés financiers qui attendent de la France qu’elle respecte les 3% », plafond qualifié d’« outil particulièrement efficace ». Cette règle édictée par l’Union européenne, n’était pas, jusqu’ici du goût de l’extrême-droite. Mais Tanguy explique ce revirement : « La France a engagé sa parole publique et malheureusement nous sommes contraints de la respecter, compte tenu du niveau de notre endettement, pour éviter que nos créanciers puissent exercer sur nous une pression ».

C’est donc au nom de la défense de la souveraineté du pays que le RN s’apprête à appliquer une recommandation de Bruxelles. On sourit…Mais cette déclaration ne semble pas prononcée par foucade. Les propos du bouillant Tanguy ont été confirmés par Marine Le Pen elle-même le surlendemain à France inter : « Le sujet, c’est que nous avons 3300 milliards d’euros de dette. Nous devons réfléchir à une règle d’or qui permettrait d’équilibrer les dépenses de fonctionnement. Il y a des économies à faire, et elles sont nombreuses, sans passer par une augmentation des impôts. On peut préserver les intérêts économiques de notre pays, sans considérer les chefs d’entreprise comme des ennemis » ». N’en jetez plus…

Ce n’est pas un hasard si Marine Le Pen et son protégé ont effectué ce « bougé ». Il y a évidemment d’abord la concurrence avec Jordan Bardella. Monsieur « plan B » cultive son image de libéral auprès du microcosme économique et cherche à incarner le sérieux qui manque cruellement au programme social du RN. Il confie notamment volontiers en privé que, si cela ne tenait qu’à lui, il ne toucherait pas à la limite d’âge à 64 ans pour les retraites. Un gage donné aux nombreux patrons rencontrés ces derniers temps, en vue de crédibiliser la candidature du jeune homme à la présidentielle.

Marine Le Pen ne pouvait le laisser seul sur ce créneau. Elle espère toujours être dans la course pour 2027, ou fait comme si… Elle corrige donc le tir de l’impression désastreuse donnée lors de la réunion avec les dirigeants d’extrême-droite européens où elle a retrouvé des accents agressifs et antisystème. Sa charge contre l’Europe, qualifiée d’« empire marchand, wokiste, ultralibéral, cimetière de promesses non tenues, machine bureaucratique, froide, impersonnelle, autoritaire dans l’âme » a frappé par sa violence. La voilà revenue à un ton plus convenable.

Peut-être prépare-t-elle également les esprits à laisser passer un budget de rigueur à la rentrée. Un responsable ministériel croit deviner l’objectif : « Avant d’arriver au pouvoir, le RN veut nous laisser faire le sale boulot ». Sans doute du « wishful thinking », mais si Marine Le Pen décidait de ne pas baisser le pouce dans les semaines ou mois à venir, cela pourrait être l’explication de ce retour à une ligne plus conforme à ses anciens efforts de dédiabolisation. Une motion de censure et ses désordres, une possible dissolution, n’arrangeraient pas forcément les affaires de l’extrême-droite. Jouer les vertueux pourrait donc servir de couverture.

Le message à Bardella est en tout cas clair. Envoyer Tanguy, un de ceux qui le détestent le plus dans le parti, le déborder dans le genre « responsable » est un tour bien dans la manière de la fille de Jean-Marie Le Pen. Sincère ou pas, la conversion du RN à l’orthodoxie budgétaire est du billard à plusieurs bandes. Dont l’objectif essentiel, pour Marine Le Pen, est de rappeler : c’est moi la patronne !

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse