Le Sénégal sauveur de la démocratie ?

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 28/11/2024

Face à ses voisins du Sahel, le Sénégal apparait comme un îlot bienvenu de démocratie. Peut-on pour autant y lire l’avènement d’une démocratie africaine renouvelée ?

Des partisans de Bassirou Diomaye Faye et d'Ousmane Sonko, le 24 mars 2024, à Dakar (Photo de John Wessels / AFP)

Le 17 novembre 2024 aura été le jour de triomphe des deux leaders sénégalais, le président Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko son bras droit. En effet, après des mois de turbulences consécutifs à une élection présidentielle alors dénuée de majorité parlementaire, les voici grands vainqueurs du scrutin et donc en mesure de conduire les politiques de leur choix.

Le Sénégal et ses nouveaux leaders ont su opposer le respect de règles constitutionnelles à des militaires ayant pris le pouvoir par un coup d’État et avant tout soucieux de le prolonger le plus longtemps possible en une prétendue transition démocratique. Les deux leaders ont payé cher ce respect des règles, puisqu’ils ont été l’un et l’autre emprisonnés avant leur victoire.

Que les présidents et gouvernements précédents du Mali, du Burkina-Faso et du Niger aient failli, par leur impuissance, à juguler la montée du djihadisme et le grignotage progressif de leurs territoires peut être admis. Mais les juntes ont commis deux erreurs stratégiques. 

La première est de profiter de ce prétexte pour supprimer peu à peu toute vie démocratique, tout en maintenant le mythe d’une restauration rapide d’un gouvernement civil. 

La seconde a été de ne tirer aucune leçon des fautes commises, tant par les anciens gouvernements, que par les Français, en croyant que le terrorisme islamiste pouvait être éradiqué par les seuls moyens militaires. 

Tout indique désormais à quel point la reconquête des territoires peu à peu perdus implique une tout autre stratégie d’accompagnement des populations concernées. Car peu à peu, ces populations ouvrent grands leurs bras aux troupes djihadistes, malgré la peur qu’elles inspirent, simplement pour survivre. 

En face, en un Sénégal jusqu’ici exempt de tels combats, Diomaye et Sonko sont dans la situation inverse. Devant eux, ils n’ont pas des populations désespérées ne croyant plus en eux, mais au contraire qui attendent tant d’eux !

Diomaye et Sonko risquent ainsi de se voir soumis à des espérances et donc à des revendications qu’ils auront du mal à satisfaire. Pour l’heure, ils ont fait preuve d’un grand pragmatisme. Leur panafricanisme semble compatible avec la démocratie et les Droits de l’Homme, mais il sait aussi être ferme par rapport à toute puissance tentée par une quelconque ingérence ou domination. 

En même temps, les dirigeants sénégalais n’ont fermé aucune porte. Ils ont continué à prôner le partenariat bi- et multilatéral, pourvu qu’il soit juste, équilibré et respectueux. 

Implicitement, c’était aussi le message adressé à Trump lors de sa réélection par le président Diomaye : celui du « respect », dont aussi celui des personnes, des cultures et des civilisations. Les deux dirigeants sénégalais n’oublient pas qu’ils vont avoir besoin de concours internationaux pour arriver à leurs fins. 

On peut toutefois se demander si ce pragmatisme va résister aux problèmes que le Sénégal va devoir résoudre. Le discours de fermeté employé vis-à-vis de la France et d’autres puissances occidentales ne peut manquer d’être exploité par tous les protagonistes de la guerre froide dont l’Afrique est désormais le théâtre : la Chine et la Russie. Le test pourrait être celui des contrats gaziers et pétroliers sur lesquels le Sénégal fonde une grande partie de ses perspectives économiques. 

Tous ces jeux d’influence auront forcément un impact sur les orientations du Sénégal, dont les inclinaisons idéologiques de certains de ses leaders pourraient l’amener à se rapprocher davantage d’alliances nouvelles, voire à rompre peu à peu avec le camp occidental.

Jean-Paul de Gaudemar

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