Le spectre du déclin
L’heure est à la prise de conscience, pour la droite Barnier comme pour la gauche : l’Europe est en danger de déclassement, ce qui s’imposera à toute équipe gouvernementale.
Un peu de recul, en cette attente d’un nouveau gouvernement… Il faut le rappeler inlassablement. Tous les rapports convergent, toutes les études se rejoignent, tous les chiffres concordent : l’Europe, et donc la France, est en passe de descendre en deuxième division dans la compétition économique mondiale. Le Monde le note : en 2010, le PIB par habitant mesuré en dollars courants était supérieur de 30 % aux Etats-Unis, comparé à la zone euro. En 2022, douze ans plus tard, l’écart a plus que doublé : 87 % de plus aux Etats-Unis que dans la zone euro. Des trois grandes zones économiques de la planète, Asie, États-Unis et Europe, c’est la troisième qui est, de loin, lanterne rouge de la croissance.
Est-ce grave ? Oui. De quelque point de vue qu’on se place, financier, industriel ou social, le décrochage de l’Europe porte avec lui affaiblissement international, risques financiers, disette budgétaire, stagnation des revenus et relégation des plus défavorisés. Le différentiel est tel que les plus grands efforts de redistribution – ils sont déjà conséquents en France – ne peuvent suffire à résoudre les problèmes de pauvreté sur le vieux continent. Ni à financer les vastes investissements exigés par la mutation écologique.
Ainsi tout gouvernement, de droite ou de gauche, se trouve placé devant un immense défi : interrompre vigoureusement cette course vers le déclin. Et contrairement à ce que va nous dire à coup sûr Michel Barnier, les chemins du regain heurtent les totems de la droite, autant que ceux de la gauche. Il faut en effet, dixit Mario Draghi, investir quelque 800 milliards d’euros chaque année pour remettre l’appareil productif sur les rails tout en réussissant la décarbonation de la production. Pas question, donc, sauf à se suicider économiquement, d’imposer à l’Europe une cure d’austérité.
Mais pas question, non plus, de continuer à laisser gonfler chaque année les déficits courants, qui sont précisément l’ennemi de l’investissement. Dépenser moins au quotidien pour dépenser plus dans les projets d’avenir, dégager les fonds nécessaires aux transformation futures par l’emprunt européen, tout en surveillant comme le lait sur le feu le déficit budgétaire lié à la mauvaise gestion de l’État. Délicate ligne de crête, qu’il faut suivre absolument pour avoir une chance de s’en sortir.
Sachant, last but not least, qu’un effort imposé aux seules classes pauvres et moyennes conduira immanquablement, sous une forme ou sous un autre, à une révolte populaire contre le gouvernement qui s’aventurerait sur la pente de l’injustice. Celui de Barnier comme les autres.