Le travail n’est plus à la mode
Il est clair que la réforme des régimes de retraite décidée en 2023 peut et doit être améliorée. Mais l’obsession française de la retraite qui envahit le débat public laisse un sentiment de malaise. Parce que nous refusons de regarder la réalité en face : les Français ne travaillent pas assez.

Bien sûr les actifs qui ont cotisé depuis des années sont légitimes à percevoir une retraite décente. Mais cela ne saurait occulter le fait que, comparées aux générations passées les Français perdent globalement le sens de l’effort. Les trente glorieuses sont largement issues d’une époque où le travail était l’un des moteurs du progrès. Tout indique que dans notre pays Ce moteur est en panne.
En 2021, la moyenne annuelle du temps de travail par habitant était de 895,9 heures en Suisse, 825,7 heures aux Etats-Unis, 724,6 heures en Allemagne, et… 630,9 heures en France. Et encore travaillons-nous moins d’années que nos voisins avant la retraite.
Détaillons [1] : D’abord le temps de travail effectif de ceux qui occupent un emploi est en recul. La moyenne des pays de l’OCDE était en 2021 de 1716 heures par an, mais de seulement 1490 pour la France. Mais notre vrai problème, c’est le taux d’emploi, c’est-à-dire la proportion des gens en âge de travailler occupant vraiment un job. Il est inférieur de neuf points à celui de l’Allemagne. Cela vient d’un chômage plus important, mais pas seulement. Trop de gens -jeunes et moins jeunes- en capacité de travailler ne sont pas sur le marché de l’emploi. Compense-t-on ce handicap par une productivité plus grande que les autres pays ? Ce fut le cas. Ça ne l’est plus. La France est l’avant dernier pays des pays développés en termes d’évolution de la richesse créée par heure travaillée: alors que presque tous les pays progressent, nous reculons de 3%. Nous sommes moins productifs.
Cela se paye. En 1980, notre pays était le 13ème pays du monde en termes de PIB par habitant, devant les Etats-Unis. En 2023, la France est tombée au 25ème rang mondial. Si l’on compte en parité de pouvoir d’achat, le niveau de vie français est aujourd’hui de 73% du niveau de vie américain. Il était de 86% en 1980. Le refus de travailler plus est une tentation privée qui se transforme en drame public.
La droite l’a répété souvent… mais n’a jamais su redonner un sens aux efforts demandés. Et comme les inégalités sociales ont explosé de son fait, son propos fut considéré pour beaucoup comme une provocation à l’égard des moins favorisés. Elle n’a pas compris non plus que la jeune génération veut désormais comprendre les valeurs de l’entreprise qui veut l’employer.
La gauche, elle, est mal à l’aise avec la valeur travail. Elle n’a pas su la mettre en cohérence avec ses idéaux, en particulier de justice sociale. La sélection, le mérite, la compétition lui font peur. Des 35 heures à l’âge de la retraite en passant par la RTT, les facilités du télétravail et le projet de revenu universel, ses dirigeants n’ont jamais su expliquer que la redistribution devait être conditionnée par l’effort. Et que l’assistanat n’est pas une solution dans le monde de concurrence violente ou nous sommes.
J’ai le souvenir des jeunes mécanos qui se sont mis en grève à Air France, non pas pour des revendications salariales, mais parce qu’ils n’étaient plus fiers du travail qu’on leur faisait faire. Il est loin hélas le temps ou la gauche, proche de la classe ouvrière, honorait les vertus du travail bien fait et lui donnait un sens. L’hommage de Péguy aux rempailleurs de chaises parait bien désuet. À tort. Le socialisme, parfois, rend paresseux.
[1] L’ère de la flemme. Olivier Babeau. Editions Buchet Chastel.