Censure ? Pas sûr !
Quelle que soit l’issue du conclave, LFI a déjà annoncé qu’elle déposerait une motion de censure si la réforme des retraites n’est pas abrogée. Le PS et le RN menacent à leur tour sans y croire vraiment. Fait-on tomber un gouvernement en pleine crise internationale ?
Quel cinéma ! Le monde est en alerte maximum sur le nucléaire, et les partis d’opposition font assaut de saillies verbales sur… les retraites. Impensable de laisser aux Insoumis le monopole de l’offensive et de l’indignation préventive. Alors, comme pour s’en persuader, les représentants du PS et du RN préviennent François Bayrou qu’une motion de censure lui pend au nez alors que ces vrais-faux durs préfèreraient l’éviter.
La dramaturgie demande de grands mots. Ils viennent facilement aux lèvres du président du groupe socialiste Boris Vallaud, qui a donc lancé à l’intention du premier ministre : « Déposerez-vous avant la trêve estivale un projet de loi autorisant les parlementaires à faire leur travail ? Si vous ne le faisiez pas, vous vous exposeriez à la motion de censure ! ». Des propos confirmés par le premier secrétaire Olivier Faure : « Si le Parlement n’avait pas le dernier mot, nous serions amenés à censurer le gouvernement avant la fin de cette session ! ».
Quand on sait que l’hôte de Matignon ne compte pas intégrer d’éventuelles conclusions positives de la dernière réunion du conclave du 23 juin avant l’automne, dans le cadre de la discussion du PLFSS, on se dit que cela va chauffer. Déjà, en clôturant le congrès du PS, Olivier Faure avait prévenu dans une belle envolée : « Le gouvernement doit rechercher des compromis. S’il ne les cherche pas, il doit partir. Et s’il n’a pas cette décence, alors nous le censurerons ! » Bigre ! On tremble.
En réalité, il faut décoder toutes ces paroles, qui sont à la fois des gages donnés au peuple de gauche et des perches tendues à François Bayrou. À lui de mettre les formes, au sujet de la consultation des députés comme des gestes à faire pour qu’un accord soit possible dans l’ultime ligne droite du conclave. Le mot essentiel qu’il fallait retenir de la philippique de Faure était, paraît-il, celui de « compromis ». Il s’agissait aussi des concessions que le PS était prêt à faire sur la réforme Borne. Du moment que les syndicats à la table des négociations puissent conclure la tête haute, en particulier la CFDT. Tant pis pour le totem des 64 ans…
Du côté du RN, on se charge de traduire en direct. Bien sûr, on affiche de mâles assurances. Marine Le Pen se plait à prévoir : « François Bayrou nous poussera à la censure ». Son fidèle économiste, le député Jean-Philippe Tanguy déclare : « Si le chemin montré par M. Bayrou continue à être une impasse, nous censurerons ». Mais sans être démenties, d’autres voix du parti indiquent que ce n’est pas pour tout de suite. « La censure ne nous fait pas peur, mais nous attendrons évidemment le budget pour nous décider », explique le porte-parole Laurent Jacobelli. Une position confirmée par le patron du RN, Jordan Bardella : « Le moment de vérité pour la censure, ça va être le budget, donc nous allons attendre le budget pour nous prononcer ».
Pour l’extrême-droite, malgré son opposition à la réforme Borne, ce n’est pas le moment de mettre la pagaille. Le RN cherche à renforcer sa crédibilité après son embardée antisystème consécutive à la condamnation de Marine Le Pen. Celle-ci réfléchit à un nouveau type de défense, moins agressif, pour son procès en appel et le parti n’est pas prêt à affronter des législatives en cas de dissolution. Et il y a en plus la promesse de François Bayrou d’instaurer la proportionnelle. Ne vaut-il pas mieux engranger cette réforme électorale ? Enfin, last but not least, retourner devant les urnes priverait de siège Marine Le Pen, devenue inéligible.
Si le RN ne vote pas la censure déposée par LFI, elle ne passera pas. Mais cela permettrait au PS de la voter sans risque. C’est pourquoi il peut être tenté par ce geste qui aurait l’avantage, pour le premier secrétaire, de ressouder une gauche sur qui il compte pour la suite. Ne rêve-t-il pas d’être le candidat qui émergera de l’arc dessiné par lui, de Ruffin à Glucksmann ? Et Olivier Faure ne néglige jamais de faire un clin d’œil à la base insoumise : sans elle, il n’est pas réélu dans sa circonscription…
Les socialistes, une fois de plus, sont divisés sur cette affaire de censure. François Hollande a donné le ton en affirmant qu’il valait mieux laisser les échéances aller à leur terme. Les tenants d’une gauche de gouvernement ne sont pas emballés à l’idée de créer un pataquès, surtout si les partenaires sociaux parvenaient in fine à un accord. Et prendre le risque de faire tomber le gouvernement (le RN pouvant toujours joindre ses voix au dernier moment) alors que la tension internationale est à son comble, serait-ce bien responsable ?
L’hôte de Matignon espère ainsi échapper à la censure pour l’instant. En comptant au minimum sur l’abstention du RN, et si possible, sur un retour à la raison des plus offensifs au PS. Les derniers jours avant l’ultime réunion du conclave lundi seront sans nul doute employés à inciter le Medef à se montrer compréhensif. Dans les calculs des patrons, devra aussi entrer le coût d’une éventuelle chute du gouvernement. La semaine prochaine, François Bayrou saura combien il vaut…