Lecture : l’enquête qui fait peur
Alors que s’ouvre le Festival du livre, une enquête pointe un phénomène angoissant : les Français lisent moins que jamais.

On attend l’affluence des grands jours, ce weekend, au Grand Palais où se tient à nouveau, après 33 ans, ce qu’on appelait le Salon du Livre. L’an passé, dans le Grand Palais éphémère, plus de cent mille visiteurs ont arpenté les allées occupées par les éditeurs, achetant quatre-vingt-dix mille ouvrages. Cette année devrait battre des records, l’accès ayant été facilité à la fois aux professionnels et aux amateurs de livres. Mille deux cents auteurs sont attendus.
Quel contraste avec l’enquête du CNL (Centre national du livre) qui vient de publier les résultats de son enquête bisannuelle sur « les Français et la lecture », réalisée par Ipsos. Les chiffres sont terrifiants. La proportion de Français qui se déclarent lecteurs (56%) atteint son niveau le plus bas depuis dix ans. Elle est particulièrement en baisse chez les lecteurs réguliers (- 5 points) et ceux qui lisent quotidiennement (- 4%). Cette tendance se retrouve dans toutes les tranches d’âge (sauf les plus de 65 ans) et les catégories sociales.
L’objet livre recule (quatre ouvrages par personne en moins vendus par rapport à 2023) au profit des formats numériques (trois livres de plus), la moitié des 15-24 ans lisant en format numérique. Et l’écoute des livres audio progresse de deux unités, tendance marquée chez les grands lecteurs (plus huit). Mais une autre évolution est plus inquiétante : 27% des lecteurs font autre chose en même temps qu’ils lisent (messages ou réseaux sociaux), en particulier chez les juniors, où la proportion monte à plus de la moitié d’entre eux. Et jusqu’à plus de 40% chez les jeunes adultes.
Les librairies généralistes sont délaissées (sept livres de moins par an par personne achetés chez eux par rapport à 2023). Raison invoquée par les déserteurs : on ne peut pas acheter d’autres articles dans le magasin. La présence d’un auteur ou d’un ouvrage sur Internet est un motif d’achat pour plus de la moitié des Français, et 91% des plus jeunes. Mais le numérique constitue le loisir de plus en plus important (plus 7 points). Bilan : le temps passé par semaine devant les écrans équivaut à une journée de 24 h (et jusqu’à 35 heures chez les moins de 25 ans) et celui consacré à la lecture se limite à… dix fois moins.
D’où ce cri d’alarme de la présidente du CNL, Régine Hatchondo : « Pour la première fois dans son histoire, l’espèce humaine est confrontée au fait d’avoir une sorte de « doudou » greffé au bout de son bras, dernière fenêtre caressée avant de s’endormir et première ouverte au réveil. Face à cette omniprésence des écrans dans nos vies, à l’enfermement algorithmique et la fragmentation de l’attention créée par les réseaux sociaux, la lecture est menacée ».
Comment réagir, quand le président de la première puissance mondiale se vante de ne pas lire une ligne ? Une prise de conscience collective s’impose, et d’abord dans le pays de l’exception culturelle, qui a imposé le prix unique du livre. Il faudrait jouer sur plusieurs leviers, en osant peut-être limiter l’accès, au moins chez les plus jeunes, à un Internet dévastateur. Et, surtout, trouver la recette miracle pour leur donner envie de lire.