L’effet Retailleau
La percée du ministre de l’Intérieur, désormais candidat à la tête de LR, fait bouger l’ensemble du spectre politique, jusqu’au PS qui ne juge plus « tabou » un débat sur l’identité nationale.
Les sondages se suivent et confirment la popularité de Bruno Retailleau, ce nouveau héros de la droite décomplexée qui parle sans circonlocution des questions de sécurité et d’immigration. Sa cote lui donne des ailes : il brigue maintenant la présidence de son parti. Mais son « parler-cash » ne lui attire pas seulement les faveurs de l’électorat conservateur. Il séduit aussi une grande partie des centristes, voire de la gauche : 28% des sympathisants LFI disent lui faire confiance ! Impossible de passer à côté du phénomène. L’ensemble de l’échiquier politique est obligé de s’ajuster.
Car l’émergence éclair de ce catho jusqu’ici peu médiatique est un révélateur. Les Français souhaitent que les sujets de sécurité et d’immigration soient traités sans tourner autour du pot. On connaît le motto de Retailleau : ordre, ordre et ordre encore. Sur l’immigration, il souhaite un référendum et veut remettre en cause les règles de droit qui entravent une action plus efficace contre les étrangers irréguliers indésirables. Il se veut implacable.
Ses concurrents sont obligés de monter d’un cran. Gérald Darmanin, peu suspect de laxisme, tente de le doubler sur sa droite. Il propose de revenir sur le droit du sol en métropole, pour en durcir les conditions, que cela soit par référendum ou au moment de la prochaine présidentielle, pour laquelle il est quasi candidat déclaré. Même Gabriel Attal s’est trouvé un thème, la justice des mineurs, que sa PPL se propose de rendre plus dissuasive…
François Bayrou, qui n’a jamais été un chantre des thématiques flirtant avec l’extrême-droite, épouse aussi l’air du temps. Après ses propos sur le « sentiment de submersion migratoire », et ses explications sur l’immigration qui est « question de proportion », le voilà qui lance l’idée d’un débat sur « l’identité nationale ». A la fois pour étouffer les dissonances de son gouvernement sur le droit du sol, (Elisabeth Borne et Eric Lombard ont dit leur opposition à tout changement) et pour satisfaire une opinion en attente de réponses à ses inquiétudes, voire à sa colère.
Même le Parti socialiste est obligé d’opérer un « bougé ». Olivier Faure, décidément en pleine mutation, a jugé qu’un débat sur l’identité nationale n’était pas « tabou ». Quand on sait la pusillanimité dont a fait preuve la gauche sur les thèmes qui touchent de près ou de loin à l’immigration, il y a de quoi noter un tournant. Le bras droit du premier secrétaire, Pierre Jouvet, explique la position du PS : « On peut faire l’autruche, mais quand 70% des Français considèrent que la question migratoire est un sujet, on ne peut pas dire « Ce sont des méchants, des fascistes ». Si on n’y va pas, on sera écrasé ».
Jean-Luc Mélenchon a évidemment accusé Faure de « coller à Bayrou », prêchant, de son côté, pour « la nouvelle France » créolisée. A l’autre extrême, Marine Le Pen cherche la parade, hésitant entre la satisfaction de voir ses sujets repris et l’inquiétude de voir certains de ses électeurs retourner vers leurs partis d’origine, de gauche comme de droite. La percée Retailleau fera-t-elle baisser le RN ? Ou le nourrira-t-elle ? Toute la question, désormais, c’est de savoir si les Français, pour une fois, préfèreront la copie à l’original.