L’ennemi américain

par Laurent Joffrin |  publié le 13/02/2025

Les premiers gestes de Donald Trump, brutaux et solitaires, annoncent un changement fondamental : la France – et l’Europe – doivent désormais considérer le gouvernement américain non comme un allié, mais comme un adversaire.

Laurent Joffrin

Dans la longue histoire des rapports franco-américains, une rupture décisive est à l’œuvre. Depuis la Seconde Guerre Mondiale, les États-Unis étaient pour la France des amis surpuissants et incommodes, mais néanmoins solidaires. De grands souvenirs historiques unissaient les deux peuples, de La Fayette à Eisenhower, et la culture américaine était devenue une référence familière, de Melville à Dylan, de Capra à Coppola, envahissante mais amicale. L’armée américaine garantissait la sécurité européenne et, pour l’essentiel, Européens et Américains défendaient des valeurs de progrès. Au-delà de différends stratégiques notables – naguère en Asie du Sud-Est, plus récemment en Irak – Américains et Européens affrontaient des ennemis communs, le nazisme dans les années 1940, le stalinisme pendant la guerre froide, le terrorisme islamiste depuis le 11 septembre, et cherchaient le plus souvent à promouvoir les régimes démocratiques (à l’exception notable de l’Amérique latine où les États-Unis ont toujours agi seuls, souvent en faveur de gouvernements dictatoriaux).

En négociant seul avec Poutine et en esquissant une solution qui sacrifie les intérêts ukrainiens, Donald Trump brise net une solidarité ancienne et désavoue la ligne stratégique des Européens, qui sont tenus avec mépris à l’écart des discussions. Il est prêt à un découpage de l’Ukraine digne de la période coloniale, laisse entendre que cette nation émancipée fait naturellement partie de l’aire géopolitique russe et soutient de facto une dictature contre une démocratie.

Au Proche-Orient il épouse les thèses expansionnistes de l’extrême-droite israélienne dont l’Europe s’est toujours défiée, nie l’existence même du peuple palestinien et soutient sans retenue la politique Netanyahou. Il déclare une guerre commerciale aux puissances concurrentes, parmi lesquelles il range l’Union européenne. Sur le plan politique, il instaure, à la place de la démocratie américaine, une ploutocratie illibérale qui viole sans vergogne l’état de droit, poursuit de sa vindicte ses adversaires démocrates et tient un discours identitaire et xénophobe à l’opposé des forces démocratiques européennes. Il soutient très officiellement l’étrange constitution d’une « internationale des nationalismes », cinquième colonne du trumpisme, qui menace les forces politiques du vieux continent favorables à l’Union, au multilatéralisme et au respect des droits humains.

Alors même que les Européens gardent amitié et respect envers le peuple américain, le gouvernement Trump se pose en adversaire, pour ne pas dire en ennemi déclaré. Sauf à disparaître de la scène mondiale, Français et Européens doivent en tirer toutes les conséquences, économiques, diplomatiques et militaires. Question de survie et de dignité…

Laurent Joffrin