Les banques prises les doigts dans le CumCum

par Gilles Bridier |  publié le 22/06/2025

Un sénateur révèle la pression du lobby bancaire pour contourner un texte de loi qui nuirait à l’exercice d’un évitement fiscal.

Eric Lombard lors des questions au gouvernement au Sénat, à Paris, le 18 juin 2025. (Photo Magali Cohen / Hans Lucas via AFP)

Jean-François Husson n’a rien d’un professionnel de l’agit-prop montant à l’assaut de la forteresse de Bercy. Et pourtant… Sénateur LR, rapporteur du Budget, il ne comprenait pas que le gouvernement ait vidé de sa substance un texte de la loi de finances 2025, votée en février par le Parlement, pour lutter contre la fraude fiscale organisée par certaines banques avec leurs clients étrangers. Ce texte s’attaquait à un dispositif, dit CumCum, qui consiste pour un actionnaire étranger d’une entreprise française à prêter ses titres à une banque avant la distribution des dividendes. L’objectif consiste à échapper à la retenue à la source à laquelle sont soumis les actionnaires non-résidents. Une fois le dividende versé, les titres sont rendus à leurs propriétaires qui se partagent avec les banques l’économie ainsi réalisée sur le dos du fisc. Un montage frauduleux qui fait perdre à l’Etat entre 1,5 et 3 milliards d’euros par an, au moment où l’Etat veut demander des efforts aux contribuables pour réduire l’endettement. On peut s’indigner que de telles pratiques existent, mais encore plus qu’elles ne soient pas sanctionnées et que les banques, complices, persistent dans leur pied de nez à l’administration fiscale. Ainsi les sénateurs voulaient-ils colmater une brèche importante dans le système fiscal.

Mais patatras ! Alors que le Parlement – dont le rôle est de voter les lois – s’est prononcé, le texte d’application sorti de Bercy en avril a introduit de telles brèches dans le projet de loi qu’il le « vide largement de son effectivité » et qu’il « n’est plus conforme à l’intention du législateur », accuse le Sénat… Deux courriers avaient été adressés pour s’en plaindre par la Commission du budget au ministre de l’Économie Éric Lombard, sans succès. Bercy faisant la sourde oreille, Jean-François Husson s’est transporté au ministère des Finances le 19 juin pour découvrir que le gouvernement – dont le rôle est d’appliquer les lois – avait cédé à la pression du lobby bancaire pour contourner l’impôt, ignorant en cela les conseils de sa propre administration fiscale. Bercy, semble-t-il, aurait plaidé sa bonne foi en invoquant « l’intransigeance avec laquelle le gouvernement lutte contre la fraude fiscale en pleine application de la loi ».

Mais c’est bien là une partie du problème : quelle loi et qui fait la loi ? Le pouvoir du lobby bancaire auprès du gouvernement pèse-t-il plus lourd que celui des Parlementaire dans l’application des lois? Jusqu’où le pouvoir d’influence peut-il s’immiscer dans le processus démocratique ?

On ne saurait considérer que, comme d’aucuns l’avancent, la forte pression fiscale en France oblige à ménager les investisseurs étrangers en leur permettant de contourner la législation par des moyens passablement frauduleux. Et encore moins que, face à un vote du Parlement, les intérêts d’un lobby prévalent sur le respect du fonctionnement de la démocratie. C’est le concept d’Etat de droit qui serait galvaudé… encore une fois. La question se pose d’autant plus que le Sénat s’attaque à cet abus de droit CumCum depuis 2018. Mais les méandres de l’arsenal juridique autorisant une débauche d’arguties, la Fédération bancaire française (FBF) est parvenue à convaincre le Conseil d’Etat qui, une fois saisi par le lobby, a considéré cinq ans plus tard que l’administration fiscale était dépourvue de base légale pour lutter contre la technique du CumCum. Qui, du coup et sans être autorisée, n’était pas interdite. Une zone grise qui aurait permis l’évaporation d’une trentaine de milliards d’euros en vingt ans, et qui devait disparaître avec la loi de Finances 2025.

En plaçant l’affaire sous les projecteurs, le Sénat prend l’opinion publique à témoin. Et cette fois, il sera bien difficile à Éric Lombard de réclamer 40 milliards d’euros d’effort supplémentaire aux Français dans le budget 2026, en continuant à fermer les yeux sur les pratiques frauduleuses de certaines banques d’affaires.

Gilles Bridier