Les deux Amériques

par Bernard Attali |  publié le 16/07/2025

Dans un essai brillamment écrit Judith Perrignon démontre l’existence d’une autre Amérique, progressiste, audacieuse et solidaire des démocraties, à travers la biographie des Franklin D. Roosevelt, l’anti-Trump.

Couverture du livre : « L'Autre Amérique » (© Editions Grasset) et l'auteure Judith Perrignon (Photo Joël SAGET / AFP)

Souvent, à travers une biographie le passé s’éclaire et le présent se révèle. Le livre de Judith Perrignon -L’autre Amérique (Grasset juillet 2025) – suit le Président Roosevelt tout au long de ses quatre mandats, de 1933 à 1945.

À l’aide du journal de son Secrétaire au Trésor et ami, – Henry Morgenthau – on voit l’homme lutter sa maladie (la polio) avec une force d’âme inouïe. Sénateur à 30 ans on le voit affronter la crise de 1929 : chômage et misère, la colère et ses raisins. On le voit, grand bourgeois, face aux milieux d’affaires, démanteler les cartels, les grandes banques et leur puissance financière. On le voit affirmer, dès son discours inaugural : « nous savons maintenant que le gouvernement des métiers d’affaires est plus dangereux qu’un gouvernement de mafieux ».

On le voir redresser l’économie d’un pays terrassé par la crise de 1929 avec des méthodes peu orthodoxes : grands travaux, hausse des salaires, solidarité sociale, rigueur fiscale pour les plus grandes fortunes. Keynes avant Keynes, capitalisme d’État contre capitalisme tout court. On le voit en prise directe avec l’opinion par la radio, pariant sur la raison de ses auditeurs plus que sur leurs passions. On le voit batailler contre Wall Street, l’église catholique, et le FBI de Hoover. On le voit, étranger à l’antisémitisme de son milieu, créer un Bureau des réfugiés essentiellement destiné à aider les réfugiés juifs d’Europe.

On le voit conscient des risques de guerre, affronter l’isolationnisme des électeurs américains. On le voit au pire moment expliquer à son peuple que « la seule chose qui doit faire peur c’est la peur elle-même ». On le voit, solidaire de ses alliés, armer les démocraties contre l’agresseur nazi et conduire son pays à la victoire. On le voit soutenir son épouse Eleanor lorsque celle-ci s’engage en faveur des Noirs et des minorités, à une époque où la femme américaine n’avait pas son mot à dire hors de son foyer. On le voit, à la fin de sa vie bâtir les fondations de la paix par le multilatéralisme.

En revisitant ce parcours hors normes l’auteur montre combien un grand pays peut très vite basculer du meilleur au pire et du pire au meilleur. À la lumière de l’actualité américaine il est saisissant de voir un peuple autrefois épris de liberté, ouvert à l’immigration, soucieux de cohésion nationale, solidaire de ses alliés jusqu’au sacrifice de ses jeunes soldats… basculer du côté obscur de la force.

Rappeler cette histoire c’est avoir honte pour l’Amérique de Trump tout en gardant l’espoir d’une autre Amérique. L’héritage de Franklin D. Roosevelt n’est pas seulement un souvenir. C’est un repère.

« L’Autre Amérique », de Judith Perrignon. Editions Grasset.

Bernard Attali

Editorialiste