Qui est «va-t-en guerre»?
Plusieurs voix d’élèvent pour souligner les risques que la France fait courir à la paix en poussant au réarmement de l’Europe. C’est un contresens.

Laissons tout de suite de côté la cinquième colonne poutinienne – le RN et LFI – qui jouent les sages en s’inquiétant des risques de guerre mais qui n’ont d’autre objectif que de détruire l’Union européenne et de laisser le champ libre à Poutine. Répondons plutôt, calmement, à tous ceux qui redoutent un engrenage fatal, lequel conduirait, avec les meilleures intentions du monde, les nations d’Europe à déclencher un conflit incontrôlable susceptible de mener au pire.
Après tout, la chose s’est déjà vue dans l’histoire, quand des gouvernants somnambules ont conduit le continent à l’abîme, comme pendant l’été 1914. Ainsi le dit avec talent, dans le Figaro, Jean-Marie Rouart, écrivain cultivé et subtil : « n’est-il pas irresponsable de jouer avec la troisième guerre mondiale ? Le jeu des alliances par effet de domino a montré tout à long du XXe siècle le risque qu’il y avait à se laisser entraîner dans des conflits qui ont abouti non seulement à la destruction de l’Europe, mais à la quasi-ruine des pays qui la composent. Est-ce donc l’exemple à suivre ? »
D’abord une remarque, qui montre la différence essentielle entre la situation actuelle et ses précédents guerriers. Depuis des lustres, nul dirigeant européen n’a voulu de guerre et tous, issus de démocraties pacifiques, l’envisagent avec effroi. Au contraire, la doxa d’une certaine droite veut que la vieille Europe se soit endormie dans une sécurité trompeuse, persuadée que la guerre avait disparu du continent et que le parapluie américain, en tout état de cause, la protégeait de toute agression militaire.
Aucun dirigeant européen n’a jamais imaginé un instant qu’il serait souhaitable d’attaquer la Russie. Personne n’avait songé, avant l’Ukraine, à organiser une quelconque opération armée pour contrer les ambitions de Poutine. Personne, a fortiori, n’a eu l’idée saugrenue et absurde de chausser les bottes de Napoléon pour franchir le Niémen avec la Grande Armée européenne, ni de monter une catastrophique « opération Barbarossa » pour abattre le poutinisme. Personne, enfin, ne manifeste dans les rues en criant « à Moscou ! » comme on criait jadis « à Berlin ! »
Contrairement à ce que clame la propagande russe, l’OTAN, que Poutine et ses idiots utiles accusent de volonté belliciste, s’en est tenue depuis le début à une posture strictement défensive. Les Européens et les Américains pré-Trump se sont contentés – plus ou moins mollement – de soutenir les peuples de l’ancien empire soviétique dans leur volonté d’indépendance. Serait-ce un crime contre la paix ?
C’est l’offensive de grand style lancée par les armées russes contre l’Ukraine qui a provoqué le réveil des gouvernements européens, jusque-là fort pusillanimes et préoccupés surtout d’affaires sociales ou économiques. Une fois cette guerre entamée par le pouvoir russe, l’Europe a réagi, contrainte et forcée, souvent avec un retard dommageable, rassurée seulement par le soutien américain qui aujourd’hui lui fait défaut.
Bellicistes, ceux qui veulent résister ? Au vrai, quand on parle de contrer Poutine, on ne parle pas d’attaquer la Russie (fort heureusement). On veut organiser une défense préventive. D’abord en refusant d’abandonner le peuple ukrainien à son sort, qui serait cruel et désastreux si l’Europe manquait à ses devoirs d’allié. En suite en construisant une défense désormais autonome par nécessité, puisque Trump fait défaut. Déclarer la guerre ? Il n’en a jamais été question. Il s’agit seulement de reconnaître que l’accroissement incessant de l’arsenal militaire russe, les attaques obliques dirigées contre les démocraties de l’ouest, la rhétorique agressivement impériale de Poutine, constituent une menace qu’il faut prendre en compte. On s’inquiète de velléités guerrières en Europe de l’Ouest. Mais en l’occurrence, en démarquant une formule fameuse de François Mitterrand, il se trouve que les pacifistes, les « sages » et les « réalistes » sont à l’ouest, tandis que les plans d’invasion appuyés sur les chars, les avions, les drones et les missiles sont à l’est.