Les gauches et les villes : en Allemagne comme en Europe
L’Allemagne n’a pas échappé à la droitisation du continent. Une forme d’homogénéisation des scrutins européens se confirme. Les gauches, dont la social-démocratie, buttent sur les mêmes défis qu’ailleurs.

Plusieurs études démographiques dont celles d’Hervé Le Bras ont démontré que le vieillissement du continent produisait presque mécaniquement un recentrage conservateur de l’échiquier politique – un fait sociologique, pas une généralité. Faisons exception du chancelier Scholz, son incapacité à anticiper les difficultés économiques et stratégiques, les 16% obtenus par le SPD ont en vérité des caractéristiques voisines des autres partis socialistes européens, à l’exception du PSOE espagnol, caracolant en tête, boosté par son petit miracle économique. Qu’est-ce qui coince ?
L’électorat de la gauche allemande est massivement métropolitain, celui du SPD plus âgé et plus diplômé. Le renouveau de la gauche radicale est apparu à travers la personnalité de Heidi Reichinnek, oratrice talentueuse, séduisant une partie des jeunes couches du salariat et de la jeunesse scolarisée à travers les questions sociales sans les mêmes ambiguïtés insoumises. Les vieux bassins de la Ruhr, là où le puissant syndicat IG Metall organisait il y a encore peu le cœur de la classe ouvrière allemande sont restés symboliquement aux mains du SPD. Mais l’AfD, à l’image du RN, est devenu le premier parti parmi les ouvriers avec 38%, 34% parmi les chômeurs.
Les gauches conservent également un problème récurrent avec la ruralité. Ce n’est pas un scoop, si l’on songe aux difficultés de la IIIe république à s’enraciner dans les campagnes, à la seconde république espagnole et la place de l’Église ou à la force de la notabilité rurale italienne, fer de lance de la réaction, confrontée au biennio rosso.
Il a pourtant existé de puissants contre-exemples à l’instar du Midi rouge languedocien, heures glorieuses entrées au panthéon du mouvement ouvrier dès 1907. Mais soyons honnête, il s’agit d’Histoire. Le transfert des richesses vers les villes, la mutation du travail, la concentration de la matière grise dans les métropoles ont abouti à la constitution d’îlots urbains, propriétés des gauches, quand les campagnes, marginalisées et percutées par les bouleversements culturels de la globalisation sont durablement ancrées (au mieux) à droite.
La carte électorale berlinoise ne raconte pas autre chose. Massivement acquise aux Grünen, à Die Linke dans les anciennes frontières de Berlin-Est et au SPD à l’extrémité Ouest de sa circonscription administrative. Dortmund, Hambourg, Lubeck, Fribourg, Stuttgart, du nord au sud, les mêmes constats s’imposent.
Est-ce à dire que les rats des villes et ceux des champs sont condamnés à une incompréhension durable ? La fin de l’Histoire n’a jamais fait recette. En revanche, la social-démocratie, toute la gauche, sont dans l’obligation de s’adresser à ces couches sociales, par ailleurs diverses, pour envisager à nouveau la conquête du pouvoir. Un débat qui traverse aussi la gauche française, illustré par la controverse de Ruffin, rompant sur le tard avec les dérives de l’assignation identitaire de Mélenchon, jusqu’à la rupture républicaine.
Là où il y a une volonté, il existe un chemin ? Les partis ne sont plus des partis de masse comme on l’apprit jadis, ceux de gauche sont devenus des espaces peu fréquentés, parfois réduits à des rampes de lancement de carrière, désertés dans les espaces ruraux. Un constat qui s’applique à l’ensemble de ce qui constitua la force de la social-démocratie d’antan, syndicats, organisations de jeunesse, œuvres laïques…comme si l’effacement du collectif devant la seule revendication de l’individu, avait produit un affaiblissement collectif des gauches. Que faire ?
Le renouveau de la social-démocratie ne pourra faire l’économie d’un effort d’éducation, de transmission à vaste échelle. Elle le fit jadis comme les PC à l’Est et au Sud à travers des écoles de cadre, permettant l’ascension de « travailleurs du rang ». Le modèle peut être interrogé, mais la préoccupation est légitime. Il faut résoudre l’équation d’un salariat n’ayant jamais été conséquent, sans défaite majeure remettant en cause son niveau de vie et la marginalisation des gauches dans les trois quarts des États membres de l’Union Européenne. Un paradoxe qui ne manquerait pas d’interroger à titre posthume, un vieux barbu, prussien et père du socialisme scientifique.