Les jours qui ébranlent l’Europe

par Pierre Benoit |  publié le 16/02/2025

Prise en tenaille entre les deux puissances impériales, États-Unis et Russie, l’Europe ne survivra pas sans une mobilisation politique exceptionnelle.

Le chancelier allemand Olaf Scholz et le président ukrainien Volodymyr Zelensky lors d'une réunion bilatérale en marge de la 61e Conférence de Munich sur la sécurité (MSC), à Munich, le 15 février 2025. (Photo Sven Hoppe / POOL / AFP)

L’Ukraine aura « peu de chances de survivre sans le soutien des États-Unis ». C’est le cri d’alarme lancé par Volodymyr Zelensky dans une interview à la chaîne NBC. Sortant d’un tête-à-tête avec le vice-président américain J.D. Vance, le président ukrainien répète que son pays n’acceptera jamais de rencontrer Poutine sans un « plan commun » négocié avec Trump et ses alliés européens. Il réclame « une paix réelle et garantie ».

Zelensky est dos au mur. Son cri d’alarme montre qu’il veut déjouer le tour de passe-passe dans lequel Donald Trump tente de le piéger. Il pointe du doigt la stratégie d’apaisement du président américain qui, avant même l’ouverture de pourparlers, a offert à Poutine ce qu’il voulait, la non-adhésion à l’Otan et le maintien dans le giron russe du sud-est de l’Ukraine. En fait, une « finlandisation » de l’Ukraine.

Au passage, c’est bien cette idée d’apaisement vis-à-vis du plus fort, cette illusion de parvenir à un compromis pour éviter un conflit majeur qui ravive le souvenir de 1938, lorsque, après l’occupation par les nazis de la région des sudètes, Daladier et Chamberlain avait baissé les bras, devant les prétentions d’Hitler. En une semaine l’Europe a été secouée comme jamais depuis la construction du mur de Berlin.

Mercredi les ministres de la défense européen réunis au siège de l’Otan à Bruxelles sont ressortis tourneboulés. Le secrétaire américain Pete Hegseth venait de leur annoncer que l’Ukraine n’était plus l’affaire des Etats-Unis sans même évoquer un rôle quelconque pour l’Europe dans la future résolution du conflit.

Vendredi, à Munich cette fois, lors la Conférence de la sécurité en Europe, c’est le vice-président J. D. Vance qui a fait la leçon aux ministres de la défense. Tout le monde attendait des éclaircissements sur la participation des Européens aux négociations. Au lieu de cela, ils se sont fait tancer sur le fait que la démocratie est « en recul » sur le vieux continent accusé d’étouffer « la liberté d’expression et la liberté religieuse ».

Pour illustrer son propos, il a choisi l’Allemagne qui refuse de constituer un gouvernement avec le parti d’extrême droite AfD au nom du « cordon sanitaire » qui prévaut depuis l’après-guerre. Cette charge idéologique inouïe est celle du numéro deux de la Maison Blanche à dix jours des élections législatives allemandes. Réponse de Boris Pistorius, le ministre allemand de la défense, « inacceptable ». On ose à peine imaginer les futures présidentielles françaises de 2027, avec un scénario identique, l’équipe Trump étant toujours à la Maison Blanche.

Le coup de téléphone Trump-Poutine signe un changement d’époque : la disparition du monde issu de la seconde guerre mondiale, celle qui a vu la naissance des Nations Unies et du multilatéralisme. Un moment révolu où les États-Unis étaient les alliés indéfectibles de l’Europe comme en témoigne le cinquième article de la chartre de l’Otan instaurant, qu’en cas d’agression, une solidarité automatique entre les membres de l’Alliance.

Voilà l’Europe prise en tenaille entre deux volontés impériales, celle de Poutine et celle de Trump qui dessine un nouveau partage du monde. C’est un scénario qu’elle n’a jamais connu puisqu’auparavant l’ancien partage du monde se faisait au cœur du continent, précisément sur le mur de Berlin

Pour remettre les pendules à l’heure de Washington, il faut tourner le dos à la sidération, cesser de refouler ce qui est impensable : oui les Européens pourraient bien être absents des pourparlers sur l’avenir de l’Ukraine. Malgré l’engagement financier, militaire, humanitaire de l’UE, le sort de l’Ukraine pourrait se jouer sans elle. « A partir de maintenant, les choses seront différentes et l’Europe a besoin s’adapter » a dit Zelensky sur NBC.

En est-elle capable ? L’Europe a montré une capacité d’adaptation en accueillant l’Est du continent après la chute du mur de Berlin, plus récemment, elle a su mobiliser des moyens sanitaires pour enrayer la pandémie du Covid, pour apporter une aide multiforme à l’Ukraine au lendemain de l’agression russe.

Le sursaut de l’Union Européenne est encore possible pour éviter le dépeçage de l’Ukraine. Il implique une mobilisation politique exceptionnelle : utilisation des avoirs russes bloqués dans nos banques, augmentation des livraisons d’armes, lancement d’une industrie européenne d’armement, et en même temps tenir front sur le terrain des valeurs attaqué par l’équipe Trump.

Pierre Benoit