Les limites de l’arrogance américaine
S’ils veulent toucher les dividendes des stratégies qui ont fait leur force, les États-Unis n’ont aucun intérêt à se fermer à l’Europe. Et réciproquement.
Quoi qu’il pense de l’Europe, Donald Trump ne peut priver les États-Unis de leurs relations avec le vieux continent, auquel les lient tant de souvenirs historiques et tant d’échanges économiques. Le commerce entre les deux rives de l’Atlantique a représenté quelque 1540 milliards d’euros en biens et services en 2023, soit près de 30% des échanges mondiaux.
Le président américain reproche-t-il aux Européens un trop grand déséquilibre à leur avantage dans les échanges? Il est vrai que l’UE exporte plus de biens aux États-Unis (500 milliards d’euros en 2023) qu’elle n’en importe (350 milliards). Mais lorsqu’on intègre les services dans la balance (400 milliards d’euros pour les États-Unis, 300 milliards pour l’UE), le déficit dans les échanges tombe à une cinquantaine de milliards au bénéfice de l’Union européenne. Une différence plutôt mince : avec une population de 450 millions de personnes, les 27 membres de l’UE comptent une centaine de millions d’habitants de plus que les cinquante états américains.
Les échanges de biens ont doublé en dix ans entre les deux régions les plus riches de la planète, et chacune est le premier partenaire commercial de l’autre. Si la stratégie de Donald Trump devait aboutir à réduire les débouchés dont profite chaque partie chez son partenaire et concurrent, poussant l’Europe à trouver d’autres marchés, il n’est pas certain que les acteurs du commerce américain y trouvent leur compte.
Donald Trump veut réindustrialiser le pays. C’est un homme du XXe siècle, du temps où l’automobile était le produit phare de l’Amérique conquérante. Mais les étoiles américaines ont perdu de leur éclat. En chiffre d’affaires, Ford et General Motors ont été dépassés par Toyota, Volkswagen, Hyundai et Stellantis. Insoutenable ! La faute aux Européens qui n’achèteraient pas suffisamment de voitures américaines, accuse le président. Il oublie que les productions de Ford et de GM aux États-Unis, pick-up et grosses limousines en tête, ne correspondent pas aux standards du marché européen. Tesla était prêt à prendre la relève, mais le destin politique auquel rêve son créateur et la concurrence chinoise freinent la marque sur sa lancée.
Boeing est un autre symbole de la puissante Amérique, aujourd’hui en plein désarroi. L’entreprise a dominé l’industrie aéronautique mondiale au siècle dernier, toisant ce petit européen – pas même une société à ses débuts – qui avait l’audace de vouloir grandir. Cinquante ans plus tard, le challenger Airbus lui a ravi le leadership. Quand Boeing, touché par une série de contre-performances, affiche un déficit de 12 milliards de dollars en 2024, Airbus engrange les commandes et les milliards. L’affront ! Pour Trump, le slogan « make America great again » doit sonner la revanche.
Certes, l’énergie et le numérique sont devenus les nouveaux moteurs de croissance aux États-Unis. Mais le coût d’extraction d’un baril de pétrole, de 35 dollars en moyenne, constitue une fragilité pour les exportations face aux pays du Golfe qui produisent un baril pour une poignée de dollars. Quant à l’intelligence artificielle, elle n’est plus le domaine réservé de l’oncle Sam, défié aujourd’hui par la Chine et demain par l’Europe. D’où l’assaut mené par l’Amérique tout entière contre la réglementation introduite dans l’UE pour encadrer son expansion.
Pour protéger ces secteurs, le projet MAGA de Donald Trump pousse les Etats-Unis vers un protectionnisme exacerbé, contraire à ce qui a façonné la première économie mondiale. La leçon de l’Histoire est sans réplique : c’est l’échange qui a fait sa force et non l’affrontement.