Les limites de l’effet drapeau

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 06/03/2025

La menace russe doublée du lâchage américain a fait réapparaître la fibre européenne qui réunit les partis de gouvernement, du PS à LR, et exclut les extrêmes. Mais les efforts à fournir pour la défense risquent de diviser à nouveau l’arc républicain.

Depuis l'Elysée, le président de la République, Emmanuel MACRON, s'exprime sur l'Ukraine, la dissuasion nucléaire, les dépenses militaires… à la veille d'un Conseil européen extraordinaire. (Photo Frédéric Pétry / Hans Lucas via AFP)

Enfin un vrai consensus sur un sujet important : l’avenir de notre « petit cap du continent asiatique », comme disait déjà Paul Valéry au sujet de l’Europe au lendemain de la première guerre mondiale, se joue aujourd’hui. L’électrochoc produit par la tenaille Trump-Poutine conduit les pro-européens à vouloir se donner enfin les moyens de leur autonomie stratégique. Pour l’instant, ils unissent leurs voix face aux extrêmes, qui trouvent mille excuses pour ne pas indisposer Moscou. Mais les travaux pratiques risquent de fissurer cette belle unanimité.

Dans un premier temps, les socialistes ont réagi avec classe et courage. Olivier Faure n’a pas hésité à dire qu’il était d’accord avec Emmanuel Macron sur ses propositions. Boris Vallaud, à l’Assemblée nationale, a trouvé de belles formules pour inciter les citoyens à relever la tête face aux défis. Rafaël Glucksmann, le soir de l’intervention du chef de l’État, a dit son accord avec le propos présidentiel, pressant les responsables de passer des paroles aux actes. À droite, le socle commun parfois branlant a retrouvé son unité sur la question russe. Seuls le RN et LFI ont fait bande à part, retrouvant leurs réflexes hostiles à une Europe puissance.

Combien de temps durera ce nouveau clivage, basé sur un accord stratégique des pro-européens contre l’union objective des courants défaitistes ? On peut craindre qu’une fois l’objectif fixé, les divisions reviennent au galop sur sa mise en oeuvre. Comme toujours, c’est le nerf de la guerre, jamais aussi bien nommé, qui va séparer le camp des partis « debout » : le financement de l’inévitable effort budgétaire à fournir pour à la fois aider l’Ukraine et bâtir une défense européenne digne de ce nom suscite déjà des débats qui ne sont en rien ceux d’une « nouvelle ère ».

Alors que le chef de l’Etat a promis que les impôts n’augmenteraient pas et qu’il faudrait « faire des choix », le premier secrétaire a parlé d’un « patriotisme fiscal », les élus de gauche n’étant pas prêts à des sacrifices dans le domaine social. Le ministre des Finances a en effet pointé le bout du nez en faisant allusion à la nécessité de travailler davantage pour dégager les moyens nécessaires. Le « conclave » sur les retraites pourrait-il proposer de revenir sur l’âge de départ dans l’ambiance actuelle de recherche d’économies ? Au minimum, cela fera débat.

Il revient désormais au gouvernement de François Bayrou de faire des propositions pour la « remise à niveau » de notre défense, que le Premier ministre a appelé de ses vœux au Sénat, après un très beau discours à l’Assemblée Nationale. S’il adhère complètement à la vision d’Emmanuel Macron, il est en réalité plus embarrassé pour mettre en musique les conséquences politiques des choix présidentiels. Le fragile équilibre de non-censure arraché aux socialistes lors du budget 2025 va être difficile à reproduire pour celui de 2026. Or le Béarnais a bien l’intention de durer à Matignon…

Suffira-t-il d’invoquer la gravité du moment pour convaincre les sociaux-démocrates d’accepter des coupes dans les dépenses sociales sans impôts supplémentaires pour les plus aisés ? Pas évident, tant la gauche fait rimer sacrifice et justice. La belle unité face au diabolique couple Trump-Poutine risque de n’avoir qu’un temps. Les limites de l’effet drapeau…

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse