Les médecins contre la santé
L’assemblée vient de voter une loi transpartisane organisant la lutte contre les déserts médicaux par une meilleure répartition des praticiens. Contre toute raison, les syndicats de médecins sont vent debout.
De longs cortèges se sont élancés le mardi 29 avril dans les principales villes de France. En blouse blanche, des médecins et des étudiants ont battu le pavé pour dénoncer une proposition de loi transpartisane. Était-ce pour alerter les heures d’attente aux urgences dont la longueur peut tuer des patients ? Voulaient-ils pointer du doigt les discriminations d’accès aux soins qu’une étude du Défenseur des Droits vient de dénoncer ? Ou bien se disaient-ils solidaires des six millions de Français sans médecin traitant ? Rien de tout cela : cette manifestation corporatiste de la médecine libérale visait à protester contre un projet de régulation de leur installation destinée à réduire les déserts médicaux.
Ce mercredi 7 mai, et malgré l’avis défavorable du Gouvernement, les députés ont adopté la proposition de loi rédigée par un député PS, Guillaume Garot, et signée par 250 parlementaires, signe de son caractère consensuel. Attendons son passage au Sénat, qui pourrait détricoter ou repousser le texte. Sa principale mesure consiste à conditionner l’installation d’un médecin – libéral ou salarié – au départ d’un collègue dans les zones déjà pourvues, le tout sous le contrôle de l’Agence régionale de santé (ARS).
Les syndicats de médecins refusent la réforme en expliquant que le vrai problème réside dans le manque de praticiens en France. Problème : la pénurie a précisément été organisée par la franche la plus conservatrice de la profession, main dans la main avec un Etat trop heureux de limiter la hausse des dépenses de santé : pendant 50 ans, une politique de quota par numerus clausus a garanti aux médecins libéraux leur revenu et leur statut social. Car c’est bien la sacro-sainte liberté d’installation des médecins qui a créé les inégalités d’accès aux soins en France : les zones littorales et les métropoles sont les mieux dotées, tandis que les zones rurales manquent de spécialistes. Et quand il y en a, les conventionnés secteurs 2 imposent des tarifs qui excluent les plus modestes d’une prise en charge dans des délais raisonnables.
Les internes en médecine manquent de cours en économie : ils n’ont pas compris qu’une installation régulée leur garantie une clientèle nombreuse et fidèle. Cependant, les étudiants en manif ne cachaient pas leur mépris pour la campagne : hors de question pour eux d’aller dans les zones en tension. Une pancarte « bac + 12, pas pour finir à Mulhouse » a fait le tour des réseaux sociaux : si 100.000 habitants, un aéroport international et une gare TGV ne suffisent pas à attirer mesdames et messieurs les seigneurs libéraux, comment la commune de Parigné-l’Évêque dans la Sarthe peut-elle espérer soigner ses 5.000 habitants ?
Cette manifestation de bourgeois (40% des médecins ont des parents socialement favorisés et seulement 8% sont des enfants d’ouvriers) intervient alors qu’il y a quelques mois cette profession réclamait une consultation à 50 euros, soit l’équivalent d’une hausse de leur revenu de 100 000 euros par an et par tête ! Cela revenait à dire « l’argent avant les gens ». S’étonnera-t-on que le ressentiment d’une population en souffrance se tourne contre une profession dont les membres les plus bruyants paraissent déconnectés du réel ? Pour les protéger contre eux-mêmes, il est temps que l’État mette de l’ordre dans cette politique publique. Comme d’autres professionnels de santé, à l’image des pharmaciens, ou d’autres très diplômés, comme les enseignants, les médecins doivent consentir à remplir leur mission de service public, à savoir assurer le droit à la santé.