Hantés par la Shoah
Comment faire pour se souvenir ? Cette grande enquête explore les traumatismes de l’Holocauste à l’heure du 80ème anniversaire de la libération d’Auschwitz.

Dans un monde où les derniers témoins directs de la Shoah disparaissent peu à peu, un album BD insolite cherche à capter les voix des survivants pour transformer les souvenirs personnels en une forme d’héritage universel. Tout en délicatesse, malgré son sujet terrifiant, Les Mémoires de la Shoah reprend l’enquête menée en 1995 par Annick Cojean, journaliste au Monde et lauréate du Prix Albert Londres.
Portée par un dessin subtil et pudique, l’adaptation de ce récit en roman graphique tisse les témoignages des survivants de l’Holocauste avec l’expérience de leurs enfants, mais aussi les paroles des enfants des bourreaux de l’Allemagne hitlérienne. Il ne s’agit pas d’un travail historique pour décrire l’entreprise exterminatrice nazie dans son ensemble, mais plutôt d’une véritable enquête sur ce que signifie l’effort de mémoire aujourd’hui, alors que se commémore le 80ème anniversaire de la libération d’Auschwitz, en janvier 1945. Un travail sur la mémoire – individuelle et collective – non pas comme un simple devoir, mais comme un acte de résistance contre l’oubli et la banalisation du mal.
Le scénario de Théa Rojzman oscille entre l’évocation des traumatismes – avec des fragments de souvenirs à glacer le sang -, et la description du long exercice de rencontre, puis d’écoute, mené par Annick Cojean auprès des survivants- encore largement présents dans la décennie 1990, mais longtemps ignorés par l’opinion.
Se succèdent au fil des pages plusieurs confessions de vies hantées par les cauchemars, habitées de visions hallucinées que retracent les dessins étrangement oniriques de Tamia Baudouin. On traverse parfois l’ouvrage comme un mauvais rêve, oscillant entre l’effroi, la compassion et les moments d’espoir. La grand-reporter est mise en scène dans son propre travail – puisque tel est l’objectif de cette nouvelle collection « Albert Londres » produite par les éditions Dupuis en partenariat avec le grand prix journalistique. Mais l’autrice s’efface aussi, avec délicatesse, face au sujet qu’elle traite, chaque fois qu’il s’agit de donner la parole à la complexité de la survie, à la culpabilité d’échapper à la mort, au combat de chacun pour retrouver son humanité volée et à la difficulté de raconter l’innommable.
« Les Mémoires de la Shoah », d’Annick Cojean, sur un scénario adapté par Théa Rojzman, dessin de Tamia Baudouin, éditions Dupuis, collection Aire Libre, en partenariat avec le Prix Albert Londres. 144 pages, 25 €
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