Les mensonges de Musk

par Laurent Joffrin |  publié le 13/01/2025

Pour résister à la mortifère offensive des grands réseaux alliés à Donald Trump, dont Musk est l’incarnation, il faut commencer par rappeler les principes élémentaires qui régissent la liberté d’expression en démocratie.

Laurent Joffrin

Il est une fable qu’il faut détruire avant toute discussion sérieuse sur la régulation des réseaux sociaux. Non ! Contrairement à ce que dit Elon Musk, en posant des limites légales à l’expression publique en ligne, l’Union européenne ne se livre pas à une opération de censure ou d’étouffement de la libre parole des citoyens ; elle se contente de rappeler les rares exceptions à la liberté d’expression qu’il convient d’imposer à tout diffuseur de texte, de son et d’images.

Cette question s’est posée dès la rédaction de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen publiée par l’Assemblée nationale le 26 août 1789, un mois et une semaine après la prise de la Bastille. Souhaitant libérer la presse et l’édition de la censure royale, les rédacteurs de la Déclaration ont posé un principe général de liberté. Mais ils ont aussi reconnu que, dans certains cas – par exemple l’appel au meurtre, à la sédition violente, à la trahison de la nation, ou à d’autres excès manifestes – il convenait de limiter par exception cette liberté qu’ils instauraient contre l’arbitraire monarchique.

Ils ont ainsi rédigé l’article suivant, le onzième de ce texte fondateur des régimes de liberté : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » L’affaire est donc très claire : tout est libre, sauf les rares cas où les pensées et les opinions constituent des excès communément admis (appels au meurtre, à la violence, à la trahison, à l’exploitation sexuelle des mineurs, etc.).

C’est dans le droit fil de cette tradition que les nations européennes, regroupées dans l’Union, ont adopté un règlement, le Digital Services Act (DSA), qui n’a d’autre objet que d’appliquer cet article 11 de la grande Déclaration de 1789 à la communication en ligne, comme il l’est depuis maintenant 140 ans à la presse, à la radio, à la télévision et à l’édition, c’est-à-dire depuis l’adoption par la République de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, à la satisfaction générale. Et c’est exactement cette tradition que les patrons des grands réseaux américains ont décidé de fouler aux pieds en récusant toute tentative de régulation de leurs activités par une autre entité qu’eux-mêmes.

On dira qu’ils obéissent à une autre tradition, celle de la constitution américaine qui proscrit en principe toute limitation à la liberté d’expression. Mais c’est un mensonge éhonté. Car les mêmes patrons ne cessent d’intervenir pour hiérarchiser, interdire ou promouvoir les textes, les sons et les images qui leur plaisent ou leur déplaisent, en fonction de leurs convictions et, surtout, de leurs intérêts financiers. En fait, ils dénoncent « la censure » quand elle émane de Parlements élus démocratiquement, mais la pratiquent sans vergogne dès lors qu’ils peuvent en décider eux-mêmes, dans le seul intérêt de leurs actionnaires, que personne n’a évidemment élus. En un mot, leur but n’est pas d’abolir la censure, mais de la privatiser.

Ainsi l’Europe n’a strictement aucune raison de céder, en quoi que soit, au chantage de ces féodalités modernes que sont les GAFAM – les Musk, Zuckerberg et consort – et qui disposent désormais de l’appui du gouvernement américain aux mains de Trump. Les réseaux sociaux, comme chacun le sait, sont des médias. On ne voit pas en vertu de quel privilège – celui de l’argent, en fait – ils devraient échapper à la loi commune.

Laurent Joffrin