Les nuances de brun au révélateur de l’épreuve judiciaire
Le 22 avril, la préfecture du Pas-de-Calais, avertissait Marine Le Pen de sa démission d’office du mandat de conseiller départemental, consécutif à sa condamnation du 31 mars. Malgré le recours suspensif, quoi qu’il advienne judiciairement, l’extrême-droite est à un tournant.
Steeve Briois, binôme de Marine Le Pen ne décolère pas. À l’instar des lepénistes de la première heure, comme Jean-Philippe Tanguy dont la dernière charge complotiste au Palais Bourbon reste dans toutes les mémoires, le maire d’Hénin-Beaumont rappelle que sa patronne demeure conseillère départementale en attendant la décision du tribunal administratif de Lille, à l’issue du recours. Il n’empêche.
Sans être coulée, la PME Lepéniste est à nouveau touchée. Pas d’érosion dans l’opinion avec un socle électoral probablement ravivé par la dimension victimaire sur le mode de la persécution politique mais, contrairement à un large relais médiatique, pas de contestation non plus de la décision de justice condamnant 25 prévenus dont la cheffe de gang.
Près des deux tiers des français ne comprennent pas, a contrario de l’actuel Premier ministre, du ministre de la Justice et de tant d’autres, où se situerait le déni démocratique en condamnant une coterie ayant braqué le parlement européen et le contribuable pour 2.9 millions d’euros entre le 1er novembre 2004 et le 17 janvier 2016, afin de constituer une « véritable manne financière pour le parti ».
Cet attachement à la séparation des pouvoirs et au droit n’est pas secondaire dans la période qui s’ouvre. Qui plus est, la stratégie de défense, dite de « rupture », à quitte ou double, a probablement enfoncé les prévenus dont la moitié, désormais, refuse de faire appel. Faut-il y voir une fracture autre que judiciaire ?
À voir les accusés choisissant de faire appel, on pourrait prétendre que non. Alliot, vice-président du parti ou Gollnish ont peu en commun sur l’orientation à porter. La vieille garde fascisante, l’aile normalisatrice ou les rescapés de Zemmour comme Nicolas Bay donnent le sentiment d’une bâtisse encore solide dans l’épreuve, autour de la triple candidate à l’élection présidentielle. La moitié des condamnés choisissent néanmoins d’accepter la sentence, après avoir clamé leur innocence. Un caillou supplémentaire dans la défense de Le Pen.
Mais l’essentiel est ailleurs. L’extrême-droite a le chic de se s’entredéchirer lorsqu’elle connait une crise de croissance. La dernière, en 1997, opposait Bruno Mégret au patriarche des Le Pen, quand celui-ci avait été déclaré inéligible.
L’histoire ne se répétera pas à l’identique. Les tempéraments ne sont pas les mêmes. Bardella n’est pas un aigle, mais possède suffisamment de sens tactique pour ne pas s’exposer trop tôt. En revanche, Marine Le Pen incarne la synthèse du courant nationaliste, capable de porter les bruns au pouvoir. Bien antérieur à l’histoire du RN, l’extrême-droite a toujours entretenu un hiatus en trompe l’œil entre un nationalisme social formellement populaire et une orientation nationale-conservatrice faisant la part belle à une faction des dominants.
Cette synthèse populiste, mensongère et contradictoire terme à terme, nécessite du métier et l’entretien d’un flou assumé lorsqu’il s’agit de questions économique et sociale, des retraites aux politiques fiscales. En cas d’affaiblissement durable de la cheffe de clan, il est entendu que ces deux branches du post fascisme reprendront leur querelle séculaire, libérées de l’autorité naturelle et verticale, propre aux formations populistes.
Quand bien même l’hypothèque judiciaire serait effectivement levée à l’été 2026 avec un procès plus rapide comptant deux fois moins de prévenus, et une mise en orbite officielle de Bardella, le déséquilibre de la galaxie populiste de droite sera acté. Volontiers plus libéral et conservateur que l’héritière Le Pen, il lui appartiendrait de se fondre dans le costume, avec une autorité amoindrie et une nièce aux aguets, autrement plus capée. Car l’extrême-droite française a ceci de singulier, elle est aussi le produit et l’otage d’un clan familial depuis 1972.