Les œillères de Sandrine Rousseau
En tentant de placer le viol et l’assassinat de la jeune Philippine sous le seul angle du féminicide, l’écologiste radicale permet à la droite et à l’extrême-droite de dérouler leur propagande.
Le tweet était très clair. « Philippine a été sauvagement assassinée. La personne arrêtée est marocaine sous OQTF. Ce féminicide mérite d’être jugé et puni sévèrement. L’extrême droite va tenter d’en profiter pour répandre sa haine raciste et xénophobe. No pasarán ». Outre qu’il est quelque peu maladroit de s’inquiéter autant des réactions politiques de tel ou tel parti que du meurtre atroce d’une jeune femme, ces quelques phrases de Sandrine Rousseau ont une signification limpide : il faut en l’occurrence s’inquiéter d’un féminicide (ce qui est juste), mais en aucune manière de la question des « obligations de quitter le territoire français » (OQTF), sauf à rejoindre les outrances xénophobes de l’extrême-droite. Toute une série de forces militantes ont d’ailleurs repris ce raisonnement en dénonçant hautement ceux qui examinent le crime à travers le prisme de l’immigration irrégulière (c’est-à-dire l’immense majorité de l’opinion).
L’ennui dans cette position, c’est qu’elle évacue d’un revers de main une réalité certes gênante mais difficile à passer sous silence : le suspect du crime, un jeune Marocain déjà condamné pour viol, était sous le coup d’une obligation de quitter le territoire et, si cette mesure avait été appliquée, la jeune Philippine serait toujours vivante. Sandrine Rousseau ira-t-elle expliquer à la famille de la victime que cette histoire d’OQTF n’a aucun intérêt, sauf propagandiste, et qu’il faut se concentrer uniquement sur la question du féminicide ?
Raisonnement à double tranchant de surcroît : par quel moyen de lutte contre les féminicides aurait-on pu prévenir ce viol et ce meurtre ? Par une peine de prison plus longue ? Ce serait remettre en cause « l’excuse de minorité » dont a bénéficié le jeune homme, mineur au moment du premier viol. Hypothèse audacieuse : l’abolition de cette disposition favorable aux mineurs fait partie des revendications traditionnelles… de l’extrême-droite. Par un suivi social de ce détenu après sa libération ? Peut-être. Mais il apparaît que ce suspect, dès qu’il a pu sortir de son centre de rétention, s’est évanoui dans la nature. Difficile, dans ces conditions, d’assurer un suivi social…
Quant à incriminer « le patriarcat » en général, l’intention est louable. Mais dans ce cas précis, il s’agit du patriarcat marocain, puisque ledit suspect a commis son premier viol alors qu’il était entré irrégulièrement sur le territoire, et donc qu’il avait été élevé au Maroc. Sandrine Rousseau pourrait dénoncer les mentalités en vigueur sur cette question dans la société marocaine : initiative fort peu « décoloniale », qui serait encore applaudie des deux mains par l’extrême-droite, qui trouverait courageux d’aller donner des leçons de féminisme en terre d’islam…
Mais trêve de suppositions. La vérité, c’est que l’extrême-gauche – et une partie de la gauche – ne veut pas se prononcer sur la question des OQTF en général et pas seulement dans ce cas précis. Erreur cardinale : ce mutisme laisse justement à l’extrême-droite le loisir de développer ses revendications antirépublicaines et d’exiger le durcissement de la loi, alors même que, dans sa version actuelle, celle-ci permettait l’expulsion de l’ex et futur violeur, laquelle a échoué en raison de dysfonctionnements administratifs et non par l’effet d’un quelconque « laxisme judiciaire ».
Toute politique d’immigration progressiste comporte deux volets : un meilleur accueil, accompagné d’une action de régularisation des sans-papiers sur critères ; une meilleure maîtrise des flux, faute de quoi les capacités d’accueil seront saturées et l’opinion de plus en plus braquée. D’où la question des OQTF : peut-on sérieusement négliger que, sur ce point, la loi soit appliquée dans 7% des cas, c’est-à-dire ignorée ou bafouée dans 93 % des mêmes cas ? Tant qu’elle ne répondra pas à cette question, une gauche à œillères sera inaudible sur l’immigration.