Les socialistes en pleine retraite
Pour obtenir l’abrogation de la réforme des retraites à 64 ans que souhaitent 71% des Français, les socialistes ont aussi voté, sous la pression de LFI, celle de la loi Marisol Touraine qu’ils avaient pourtant initiée en 2014.
« Jamais depuis 30 ans, une seule réforme des retraites n’a été abrogée ». Le député Modem Philippe Vigier n’en revient pas : comment le Nouveau Front Populaire et le Rassemblement National, unis pour la circonstance, peuvent-ils conjuguer leurs forces pour obtenir l’abrogation de la réforme des retraites à 64 ans qu’Elisabeth Borne a fait passer au forceps via le 49-3 ?
Pis, comment les socialistes peuvent-ils accepter de revenir sur les 43 annuités au lieu de 42 que la loi de Marisol Touraine avait imposées, en douceur cette fois en 2014, pour répondre au vieillissement de la population ? Deux réformes des retraites balayées en une seule fois, de mémoire de parlementaire, on n’avait jamais vu ça ! Tout s’est une fois encore déroulé sous la pression de LFI.
Lors de la niche parlementaire du RN, le 31 octobre, le parti de Jean-Luc Mélenchon s’est refusé par principe à voter le texte que proposait l’extrême-droite. Ce n’était que pour mieux attirer le RN dans ses propres filets. Mission accomplie depuis qu’un député RN, Thomas Ménagé, a annoncé qu’il n’avait pas ces pudeurs et qu’il voterait au contraire en faveur de la proposition d’abrogation de LFI à l’Assemblée nationale le 28 novembre. « Votre texte est le même que le nôtre et nous ne sommes pas sectaires », s’est-il justifié.
Ce député sait qu’il surfe sur la vague puisque 71% des Français sont favorables à l’abrogation de cette réforme de 2023 qu’ils trouvent aussi injuste qu’illégitime puisqu’elle n’a jamais été votée par le Parlement. Cette alliance entre LFI et le Rassemblement National, devenue familière depuis les discussions budgétaires, a obtenu une première victoire mercredi 20 novembre quand la majorité des députés de la Commission des affaires sociales a adopté par 35 voix contre 16 et 3 abstentions la « proposition d’abrogation de la retraite à 64 ans » présentée par LFI. Une majorité réunie grâce au vote solidaire de l’ensemble du Nouveau Front Populaire renforcé par les voix du RN et qui permet donc d’ouvrir le débat le 28 novembre à l’Assemblée nationale.
Mais il y a dans cette histoire un dégât collatéral : LFI n’a rien trouvé de mieux que d’intégrer dans son texte l’abrogation des 43 annuités nécessaires pour bénéficier d’une retraite à taux plein, mesure initiée par Marisol Touraine et soutenue par les socialistes. Jusqu’ici, cette réforme de la ministre des Affaires sociales et de la Santé de François Hollande faisait figure de modèle d’une évolution réussie et qui n’avait pas provoqué à l’époque d’opposition majeure.
L’ex-socialiste devenu LIOT, Laurent Panifous, a tenté de la sauver grâce à un amendement arguant que « la réforme Touraine était difficile mais juste ». Même Arthur Delaporte, l’influent député socialiste proche d’Olivier Faure, est venu à sa rescousse, insistant sur la nécessité de choisir ses combats. En clair, ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, en l’occurrence la nécessaire réforme de 2014 en même temps que l’injuste réforme de 2023.
Comment conserver la première tout en votant l’abrogation de la seconde ? Une fois encore les socialistes se sont couchés, coincés par l’injonction de LFI, qui a considéré que les deux parties de leur texte étaient indissociables. Afin de permettre à la proposition d’abrogation des 64 ans d’être débattue dans l’Hémicycle le 28 novembre lors d’une journée d’initiative du groupe LFI, les socialistes ont dû se résoudre à voter le texte dans sa totalité en commission des Affaires sociales, quitte à renoncer aux 43 annuités… qu’ils avaient eux-mêmes défendues lors de la réforme de Marisol Touraine.
Certains s’en émeuvent comme le sénateur Place Publique de Paris Bernard Jomier : « La réforme Touraine était nécessaire » insiste-t-il disant « qu’il y a de la démagogie chez ceux qui expliquent que l’on peut aussi revenir sur la réforme Touraine ». Les 66 députés socialistes tiennent entre leurs mains le sort du texte à l’Assemblée nationale. S’ils votent contre, il sera rejeté. S’ils votent pour, il sera adopté. Ce qui n’aurait rien de définitif puisqu’il serait alors transmis au Sénat qui le rejettera. Sans constitution de commission paritaire dont ne veulent ni Michel Barnier, ni Yaël Braun-Pivet, ni Gérard Larcher, la proposition de loi resterait bloquée dans la navette parlementaire avant de revenir en deuxième lecture à l’Assemblée nationale le 6 février dans une niche dédiée cette fois… aux écologistes.
La responsabilité des députés socialistes serait alors entière : on n’ose croire qu’ils accepteraient ce jour-là de céder une nouvelle fois au diktat de LFI et de revenir ainsi sur l’ensemble des mesures nécessaires à l’équilibre de notre régime de retraites.