Les travaux d’Hercule de la gauche

publié le 07/03/2025

Pour avoir une chance de revenir au pouvoir, la gauche réformiste doit opérer une révolution culturelle.

PAR MARC FONTECAVE (*)

Une partie du groupe Socialistes à l'Assemblée nationale : François Hollande, Ayda Hadizadeh, Emmanuel Grégoire, Jérôme Guedj… entre autres, le 12 février 2025. (Photo Amaury Cornu / Hans Lucas via AFP)

La gauche, ici entendue comme la gauche sociale, républicaine et démocrate, et non cette extrême gauche sectaire, fermée et totalitaire, soumise aux diktats d’une poignée de chefs illuminés et irresponsables, dont elle doit non seulement se séparer mais qu’elle doit combattre, est aujourd’hui confrontée à quatre défis majeurs. Ceux-ci bouleversent le confort, pour ne pas dire la paresse, dans lequel elle s’est anesthésiée, au moins depuis qu’elle est dans l’opposition.

Le premier est lié à l’existence de onze millions de français qui considèrent que seul le Rassemblement National est à même de répondre à leurs préoccupations. Même s’ils se trompent, ce n’est pas le front républicain qui empêchera la montée de cette vague (casser le thermomètre ne fait pas baisser la température). D’une certaine façon, il y contribue en renforçant le sentiment d’exclusion dans lequel on enferme cette population méprisée et, semblant faire office pour la gauche d’unique projet, il révéle, si cela était nécessaire, le vide programmatique dans lequel elle s’est mise. Elle va devoir, enfin et de façon originale et courageuse, traiter ces questions difficiles d’immigration, de sécurité, de souveraineté et de libération normative qui taraudent une grande partie de la population et qu’elle n’a pas osé traiter, les abandonnant aux extrêmes. Si elle ne le fait pas, elle perdra, comme récemment le SPD en Allemagne et le parti démocrate aux Etats-Unis, le vote populaire et devra assumer ses responsabilités dans la montée des extrêmes.

Le second défi est lié au premier. Tout indique que, pour un certain temps, la vie politique française sera marquée par l’absence de majorités législatives absolues claires, comme nous en avons vécues par le passé. Si la gauche veut revenir au pouvoir, elle devra abandonner cette funeste stratégie d’alliance minoritaire avec La France Insoumise, sous quelque forme que ce soit, NUPES ou NFP, stratégie d’enfermement vouée à l’échec électoral, et se préparer à des dynamiques de coalitions plus ouvertes, dans laquelle elle n’est pas obligatoirement majoritaire, nécessitant bien sûr une aptitude au compromis qui n’est pas aujourd’hui dans sa culture. C’est au pouvoir qu’elle sera utile.

Le troisième défi est lié aux bouleversements géopolitiques à l’œuvre, notamment avec la guerre en Ukraine, le néo-impérialisme russe, les affrontements nombreux et déstabilisants au Moyen Orient, le désengagement des Etats-Unis après l’élection de Donald Trump, et la montée des populismes un peu partout dans le monde. La gauche doit en effet sortir de cette utopie naïve d’une fin de l’histoire et d’une paix éternelle pour l’Europe et reprendre la question européenne, non seulement sous l’angle économique, social et écologique, mais également sous celui de sa défense militaire, de son réarmement et de ses alliances.

Le quatrième défi découle directement de la dette faramineuse que nous avons accumulée, pour avoir dépensé ce que nous n’avions pas gagné, et que nous laisserons en impôts futurs à nos enfants et petits-enfants. La gauche, traditionnellement redistributive, n’a plus rien à distribuer. C’est un changement majeur pour sa générosité naturelle, générosité justifiée quand on constate l’augmentation de la pauvreté en France, comme le montre le « Rapport sur la pauvreté en France » en cette fin d’année 2024. Il lui faut donc, pour diminuer cette dette et les déficits publics, revoir de fond en comble sa politique économique et sociale, qui devra passer notamment par des arbitrages rigoureux sur les dépenses.

Il lui faut dans le même temps sortir de ce fantasme qu’il y a chez les riches, malheureusement trop peu nombreux, une manne financière infinie qui la dédouane de trouver d’autres recettes. Cela demande une réappropriation par la gauche des valeurs de travail et de production de valeur, qu’elle a également abandonnées depuis longtemps par démagogie et pour mieux plaire à ses alliés décroissantistes de l’écologie politique et de l’extrême gauche. Cela demande également de sa part de repenser les enjeux de puissance industrielle et agricole, en abandonnant ses préjugés négatifs sur l’entreprise et son penchant pour les taxes et les normes. C’est en travaillant et en produisant plus, et non moins, que les Français créeront les moyens financiers permettant d’affronter, dans le même temps, les enjeux de la justice sociale, de la transition énergétique et environnementale, de la défense et laisseront aux générations futures un monde plus fort, plus riche, plus généreux et plus durable.

(*) Marc Fontecave est professeur au Collège de France, et membre du Laboratoire de Chimie des Processus Biologiques, UMR 8229