Les trois leçons de Gisèle Pélicot

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 19/12/2024

L’attitude de l’héroïne du procès de Mazan doit servir de guide à la fois pour les femmes, pour les hommes, et pour la société.

Ce croquis du tribunal réalisé le 19 décembre 2024 à Avignon montre Dominique Pelicot (en haut à gauche) dans le box des accusés avec son avocate Béatrice Zavarro (en bas à droite). Il a été condamné à 20 ans de prison pour avoir commis et orchestré les viols massifs de son ex-femme Gisèle Pelicot (en bas à gauche) avec 50 coaccusés qui ont également été reconnus coupables. (Dessin Benoit PEYRUCQ / AFP)

La dignité jusqu’au bout. En prenant la parole à l’issue du long procès de Mazan, Gisèle Pélicot a trouvé des mots qui forcent l’admiration. Par leur mesure : « Je respecte la cour et la décision du verdict ». Par leur générosité : « Je pense aux victimes non reconnues dont les histoires demeurent souvent dans l’ombre ». Par leur optimisme : « En ouvrant les portes de ce procès, j’ai voulu que la société puisse se saisir des débats qui s’y sont tenus. J’ai confiance en notre capacité à saisir collectivement un avenir dans lequel chacun, femmes et hommes, puissent vivre en harmonie ». La classe, et une triple leçon.

Une leçon pour les femmes, d’abord. Le courage qu’elle a démontré en exigeant que les images de ses viols répétés ne soient pas diffusées à l’abri du huis clos, en exposant ces scènes terribles où on la voyait inanimée, à la merci d’une succession d’individus la pénétrant sans sourciller, en appelant la honte à changer de camp, elle encourage toutes les victimes de violence sexuelles à ne plus tolérer l’insupportable. Quelle que soit la pénibilité des procédures et l’épreuve d’une exposition sur la place publique, les femmes qui n’osent pas encore protester doivent relever la tête.

Une leçon pour les hommes, ensuite. Certes, tous ne sont pas des violeurs en puissance, mais chacun doit s’interroger sur la part qu’il prend à la perpétuation de ce que les féministes nomment la « culture du viol ». L’ambiance sexiste dans laquelle baigne la société, malgré des progrès, perdure au point que cinquante hommes se sont crus autorisés à avoir des rapports sexuels avec une femme inanimée, son consentement étant supposé acquis par osmose conjugale. Le réflexe de déni, et même de révolte machiste qui saisit aujourd’hui une partie de la population masculine, doit être combattu par les intéressés eux-mêmes.

Une leçon pour la société, enfin. L’appel de Gisèle Pélicot ne doit pas rester lettre morte. Les rapports entre les femmes et les hommes doivent s’améliorer. Les pouvoirs publics ont leur part de responsabilité. Des efforts trop timides sont fournis par les gouvernements successifs. Il n’est plus acceptable de déplorer plus de cent mille viols par an (déclarés) et de ne pas s’attaquer aux racines du mal : l’éducation à la vie affective et sexuelle est une fois de plus repoussée ; la lutte contre la pornographie est homéopathique et le contrôle des contenus violents et sexistes du secteur numérique balbutiant. Qu’attend-on pour agir ?

Sans tomber dans les excès de certains maximalistes (qui estimeront les crédits jamais suffisants et les hommes jamais assez punis, comme pour les condamnés de Mazan), on peut créer les conditions d’un progrès. De nombreuses féministes (pas toutes) proposent d’intégrer la notion de consentement dans le code pénal. D’autres préfèreraient une loi-cadre intégrale. Le clavier sur lequel on peut jouer comporte beaucoup de touches. On attend seulement que des notes fortes soient produites. Pour que la marche de Gisèle Pélicot ne s’interrompe pas dès la fin de son procès.

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse