Les unes de la haine

par Bernard Attali |  publié le 20/06/2025

Un petit rappel d’histoire au moment où l’influence des médias sur l’opinion est de plus en plus au cœur du débat politique… C’était il y a 120 ans.

Caricature du dirigeant économique et homme politique allemand Alfred Hugenberg (1865-1951). Il occupait une place importante dans les médias de la République de Weimar. (Photo : bifab / dpa Picture-Alliance via AFP)

Alfred Hugenberg est né à Hanovre, le 19 juin 1865. Issue d’une famille bourgeoise, il a été formé à Göttingen dans le moule de l’élite : droit, économie, business… Il rejoint très tôt le groupe Krupp, géant de l’industrie sidérurgique. Mais l’acier seul ne suffit pas à forger l’avenir : la vraie puissance, pense-t-il, est dans l’opinion.

À partir des années 1910, Hugenberg investit dans les journaux, les agences de presse et les maisons d’édition. Il rachète le groupe Scherl, la Telegraphen-Union, fonde une société cinématographique d’actualités et contrôle l’édition scolaire. En quelques années, il se constitue un empire médiatique couvrant tout le territoire allemand, qui diffuse une idéologie conservatrice, nationaliste, antimarxiste et antisémite. Souvent au travers d’hommes de paille.

Sous ses ordres, plus de 60 titres, une agence d’information nationale et des films qui entrent dans les salles et les écoles. Pour Hugenberg, la République de Weimar née en 1919 n’est qu’une parenthèse honteuse. Il méprise les partis modérés, rejette la culture du compromis et voit dans les sociaux-démocrates les véritables coupables de la défaite. Sa croisade atteint un sommet en 1929, lorsqu’il organise une vaste campagne sur la dette de guerre, mobilisant journaux, films, tracts et écoles dans un matraquage inédit.

Mais c’est dans les années 1931-1932 que Hugenberg entre dans l’histoire. Persuadé qu’il peut encadrer l’agitation nazie et capitaliser sur leur popularité, il ambitionne de rapprocher la droite traditionnelle et l’extrême droite (tiens, tiens…). Il s’allie donc à un certain Adolf Hitler au sein du Front de Harzburg, persuadé de le tenir en laisse. Cette coalition associe industriels, anciens militaires, et ultraconservateurs qui prône l’autorité. Forgeron de l’apocalypse, Hugenberg offre au parti nazi une légitimation politique et médiatique inespérée.

En janvier 1933, quand Hitler devient Chancelier, Hugenberg obtient deux ministères dont celui de l’économie. Il croit encore tenir les rênes. En réalité, il n’est déjà plus qu’un pion, l’idiot utile des nazis. En otage comme membre du Reichstag jusqu’en 1945.

Très vite, Hitler le contourne. Goebbels crée un ministère de la Propagande, les SA et la Gestapo musèlent la presse. Son groupe de presse est démantelé, nationalisé ou absorbé. Il s’était cru malin, il s’est fait rouler.

Hugenberg vivra encore près de vingt ans. Il ne sera jamais jugé. Mais son rôle fut majeur dans l’effondrement de la démocratie et l’avènement d’une des pires dictatures de l’histoire. Sa presse, ses slogans, son idéologie ont constitué les bandes son de la haine.

Bien sûr aucune similitude avec des personnages ou des faits contemporains. Comparaison n’est pas raison. Mais il est toujours bon de méditer ce que disait Winston Churchill : « plus on remonte dans le passé, plus on apprend à lire le futur ».

Bernard Attali

Editorialiste