L’esclavage, « c’est notre Histoire »

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 09/05/2025

Le 10 mai célèbre l’abolition de l’esclavage et le 23 rend hommage à ses victimes. Un mois de mai ainsi placé sous le signe de la mémoire de ce que fut ce crime contre l’humanité pourtant si souvent oublié comme élément constitutif de nos sociétés. Une occasion de rappeler ce qui en fait toute l’actualité.

Depuis 1940, le château royal de Blois abrite dans ses réserves une collection de 53 bustes moulés d'anciens captifs africains, la plupart réduits en esclavage à l'île Maurice. Cette collection a été rassemblée sur l'île en 1846 par Eugène de Froberville dans le cadre de son « enquête ethnologique » sur l'Afrique de l'Est. (Photo de Guillaume Souvant / AFP)

Quand la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage (FME) proclame : « L’esclavage, c’est notre Histoire », elle souligne à quel point la traite, l’esclavage colonial et ses conséquences ont été importantes dans l’Histoire de notre pays. C’est une lucidité. On aurait presque du mal à comprendre comment le pays de la Déclaration des Droits de l’Homme et de la Révolution pourrait faire l’impasse sur cette partie-là de son Histoire.

Heureusement, tout cela a été réactivé par la loi de 2001, dite loi Taubira, qui a sonné ce réveil historique et mis en place un certain nombre de dispositifs à la fois juridiques et mémoriels importants. Parmi les suites données à cette loi, outre le coup de pouce pour la recherche, on retiendra notamment la refonte de plusieurs programmes scolaires et la création d’instances mémorielles dont la FME est l’héritière depuis 2019.

À la veille du 25e anniversaire de la loi Taubira, il faut aussi rappeler qu’il ne peut y avoir de compréhension de l’esclavage ni de bons moyens de lutte contre lui, sans une recherche exigeante, fondée sur des sources de tous types tant le phénomène est multidimensionnel. On pourra néanmoins regretter que cette recherche soit encore en France trop peu structurée et soutenue, et que les grandes institutions financières françaises qui profitèrent de certains aspects économiques de l’esclavage, ne se soient pas encore livré à des exercices mémoriels comparables à ceux de l’Angleterre ou des Pays-Bas.

L’année 2025 offre également une bonne occasion de rappeler un épisode peu connu de l’Histoire de France, pourtant très significatif de ce que furent l’esclavage et ses conséquences. Cette année marque en effet le bicentenaire de l’ordonnance de Charles X mettant en place ce qu’il est convenu d’appeler « la dette d’Haïti ».

Haïti, on l’oublie si souvent, fut la première république noire, créée en 1804 par d’anciens esclaves après leur victoire sur les troupes de Bonaparte, lequel avait rétabli l’esclavage dans les colonies après sa première abolition en 1794 par la Convention.

L’ordonnance de Charles X oblige la jeune République d’Haïti à s’acquitter d’une dette considérable, destinée à indemniser les maîtres des plantations ayant employé des esclaves en guise de réparations des dommages que subirent ces maîtres ! Une dette que Haïti mit plus d’un siècle à honorer et qui pesa lourdement sur ses capacités de développement.

Un tel évènement fait partie de ceux qui, par leur injustice brutale, a fait resurgir la question des réparations que les nations esclavagistes pourraient devoir aux pays, nations ou autres entités sociales issues de l’esclavage. Le débat, délicat à tous égards, est aujourd’hui lancé et fait partie des questions qui seront abordée, pour la France et à la suite des réflexions engagées à l’occasion de ce bicentenaire, dans une Commission franco-haïtienne.

Comment, par ailleurs, ne pas avoir en tête la situation actuelle aux États-Unis ? La chasse aux recherches menées sur les discriminations, la diversité, le climat ou le genre, et de fait une bonne partie des sciences humaines et sociales, est lancée. Une chasse voulue et organisée par le gouvernement et à laquelle les universités ont du mal à faire face quand s’opère le chantage aux crédits fédéraux.

La question des esclavages, passés ou présents, sinon futurs, est évidemment au cœur de cette vindicte à la fois conservatrice et révisionniste. Les spécialistes du sujet savent ce qu’on doit à la production scientifique américaine. On ne peut donc imaginer qu’un tel bouleversement soit durable et que les sciences humaines et sociales américaines se transforment brutalement en astre mort.

Jean-Paul de Gaudemar

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