L’été meurtrier de la démocratie américaine
Pas de trêve estivale pour le président. Il redouble d’efforts pour mettre au pas les contre-pouvoirs qui pourraient freiner son bon plaisir : les médias, les universités, la justice, la Banque fédérale et, au bout du compte, le peuple…
Le Congrès américain est en pause d’été, un « recess » anticipé pour empêcher le Congres de voter sur la diffusion du dossier Epstein. C’est le moment qu’ont choisi Trump et son gouvernement pour affaiblir toujours plus les institutions démocratiques américaines, au premier rang desquelles les media.
En les qualifiant de « Fake News » et d’« ennemi du peuple » depuis des années, il est parvenu non seulement à les décrédibiliser mais aussi à les affaiblir et à pousser leurs propriétaires à la soumission. Suivant l’exemple de Bezos, propriétaire du Washington Post qui a rendu méconnaissable ce grand journal, Viacom, propriétaire de CBS vient ainsi de déprogrammer une émission très critique envers Trump, « The Late Show ». Cette émission a été sanctionnée trois jours après avoir critiqué la somme de 16 millions de dollars versée par CBS à Trump pour mettre fin à un procès que ce dernier avait intenté à la chaine sous un prétexte fallacieux, et ainsi ne pas mettre en péril une fusion, impliquant Viacom, soumise à l’aval des autorités fédérales.
Pour ne laisser aucun doute sur la signification de cette déprogrammation, Trump s’en est publiquement réjoui, et a appelé les autres chaînes ABC et NBC à imiter CBS et à arrêter leurs propres émissions satiriques, véritables institutions et contrepouvoirs aux Etats-Unis.
Le paysage médiatique prend ainsi la forme rêvée par Trump : d’un côté ceux qui font (encore) leur travail mais affaiblis et sous la menace, de l’autre ceux qui se plient à sa volonté comme le Washington Post, CBS News voire ABC News qui a récemment renvoyé un de ses journalistes jugé irrévérencieux envers Trump.
La méthode est la même avec les universités, attaquées avec virulence par Trump, notamment au portefeuille, et qui ont le choix entre une résistance ruineuse et une capitulation honteuse. Si Harvard résiste, Columbia a choisi la voie de la conciliation, avec le renvoi récent d’une centaine d’étudiants ayant manifesté contre Israël (notamment en occupant la bibliothèque de l’université), et en cédant au gouvernement américain sur leur politique de recrutement des professeurs.
La reprise des critiques violentes contre le patron de la Banque Fédérale américaine s’inscrit également dans cette logique. En attaquant Powell (qu’il avait lui-même nommé…), Trump en fait le bouc émissaire de la récession et du retour de l’inflation qui se profile après les droits de douane. S’il obtenait son départ, Trump pourrait nommer un nouveau président qui lui serait inféodé, affaiblissant au passage cette institution américaine. Trump est donc gagnant : un bouc émissaire dans un cas de figure et un laquais dans l’autre.
Dans ce tableau, il n’est guère étonnant que Trump s’en prenne à un autre pilier de toute démocratie : l’existence d’une opposition légitime. Trump a non seulement retiré les gardes du corps de nombre d’opposants ou anciens partisans devenus critiques (comme John Bolton ou Mike Pompeo), mais il multiplie les menaces judiciaires à leur encontre, ce qui lui permet de les intimider et les inciter à un silence prudent…
L’attaque systématique des contrepouvoirs se poursuit donc sur tous les fronts, avec leur affaiblissement, leur délégitimation ou l’intimidation, conduisant à l’autocensure, pour le plus grand bonheur des partisans de Trump. Il est donc probable qu’elle se poursuive et s’intensifie, car elle répond à un besoin à la fois égotique et politique de Trump.
Dans une démocratie, le contrepouvoir ultime est le peuple. Ce dernier est aujourd’hui dans la ligne de mire d’états républicains occupés à redécouper à la hache leurs circonscriptions électorales, avec le soutien de la Cour Suprême, pour diluer au maximum le poids électoral des minorités ou des urbains qui votent plutôt démocrates (malgré des gains opérés lors des dernières élections).
Dans « L’étrange défaite », Marc Bloch écrivait « Un régime, quelle que soit la force de résistance propre acquise par ses rouages, est, avant tout, ce que l’a fait la société même qu’il prétend régir. Il arrive que la machine entraîne le conducteur. Plus souvent, elle vaut ce que valent les doigts qui la manient. »
Sous les coups de boutoir d’un ex-animateur de télé-réalité, conducteur ivre de son pouvoir, les digues institutionnelles américaines, perçues comme indestructibles depuis la création des États-Unis en 1776, cèdent aujourd’hui les unes après les autres, sous le regard d’une opinion publique enthousiaste ou tétanisée, qui aura aussi participé à cette étrange défaite de la démocratie américaine.



