L’été raté de la gauche
Avec une majorité relative, le Nouveau Front Populaire pouvait prétendre au pouvoir en passant des compromis. Encore eût-il fallu qu’il le veuille…
Xavier Bertrand se tient prêt et certains dans la macronie y pensent, lit-on dans le Figaro. Selon d’autres gazettes, circulent les noms de Michel Barnier, Jean-Louis Borloo ou Charles de Courson. Ces profils, en effet, sont vraisemblables : pour occuper Matignon, il faut réunir une coalition entre la droite et les centristes, seule capable de surpasser en nombre de députés l’alliance du Nouveau Front Populaire. L’arithmétique, donc, suggère la mise sur pieds d’une majorité relative de centre-droit, avec ce paradoxe en prime : le poste de Premier ministre sera sans doute occupé par une personnalité issue de la droite, laquelle fut l’une des grandes perdantes du dernier scrutin. À moins que Macron ne tente l’hypothèse Cazeneuve, ce qui serait une éclaircie dans le paysage si l’ancien mitterrandiste et hollandais s’accorde avec la droite, chose pour le moins délicate.
Ce jeu des scénarios, en tout cas, écarte à ce stade toute candidature issue du NFP. On y verra une certaine logique : l’épouvantail LFI a tué dans l’œuf l’idée d’un gouvernement de la gauche unie, qu’une motion de censure aurait vite fait de renvoyer à ses foyers. Pourtant, si l’on y réfléchit deux minutes, rien n’était écrit.
Rêvons un peu. Au lendemain des législatives, la gauche constate qu’elle est en tête, mais qu’elle reste minoritaire. Souhaitant néanmoins gouverner, elle fait preuve de réalisme : elle définit cinq ou six priorités issues de son programme – pouvoir d’achat des classes populaires, services publics, mutation écologique, décentralisation, révision de la réforme des retraites, etc. – tout en tenant compte de la calamiteuse situation budgétaire du pays et des aspirations exprimées par les électeurs, en matière de sécurité notamment.
Elle propose en conséquence une personnalité reconnue, raisonnable, crédible, choisie dans ses rangs, qui constitue une équipe où les réformistes dominent et qui cherche à élargir sa majorité. Voilà qui aurait rendu bien difficile la tâche de ceux qui auraient voulu la censurer d’emblée. Une fois mis en place, ce gouvernement trouve des « majorités d’idées » pour faire passer des projets pertinents favorables aux plus démunis et porteurs d’avenir.
Voilà bien un rêve, dira-t-on, sorti d’un cerveau naïf et fiévreux. Certes, mais c’est exactement ce qu’a fait l’autre Front Populaire, le vrai, celui de 1936, quand radicaux et socialistes ont gouverné avec le soutien d’une extrême-gauche – le PCF de Thorez – soucieuse de modération et d’unité. Ce scénario a-t-il été seulement envisagé ? Quand on constate qu’une Mathilde Panot sait à peine qui était Léon Blum, on en doute fortement…
La gauche a donc foncé tête baissée dans le piège tendu par Jean-Luc Mélenchon : un discours agressif, une intransigeance programmatique calculée, une dénonciation préventive de tout compromis, immédiatement assimilé à une trahison. Sous cette férule, on a donc défendu l’indéfendable et exigé l’application totale du projet, sans disposer de majorité pour le voter. Ce qui donne à Emmanuel Macron toutes les raisons de chercher ailleurs. La gauche a gagné aux points sa joute électorale, mais c’est la droite qui va gouverner. Tel est le résultat de cette merveilleuse stratégie, qui a remplacé le Front populaire… par un Front bas.