Lettre au premier secrétaire du Parti Socialiste

par Boris Enet |  publié le 19/08/2024

Pourquoi le PS s’est-il rangé derrière celui qui poursuit la seule obsession de provoquer une crise de régime pour susciter un ultime face à face perdant avec madame Le Pen ?

Boris Enet

La coalition NFP s’est constituée dans l’urgence, au terme de la déroute présidentielle aux élections européennes. Un autre choix se présentait à toi, fort de la campagne Glucksmann, couronnant de succès une identité retrouvée. Tu as préféré sceller un nouvel accord priorisant, une fois encore, des considérations tactiques. Peu scrupuleux sur la réalité programmatique des propositions, comme en 2022 en pleine saison Nupes, tu as probablement pensé que le renforcement du groupe parlementaire primait sur toute autre considération. Ce faisant, tu as sous-estimé la nature de la France insoumise, tout acquis aux destinées d’un seul, justifiant tous les moyens pour parvenir à ses fins.

Face au RN, la situation commandait un sursaut citoyen sous forme de front républicain comme toujours dans pareil cas. Il fut heureusement au rendez-vous. Pourquoi, dans ces conditions, avoir gardé le silence lorsque le chef des Insoumis a présenté l’avance du cartel des gauches comme un triomphe majoritaire ouvrant la voie exclusive à l’application – délirante et intégrale – du programme ? Ta responsabilité n’était-elle pas de saluer la victoire du front républicain, arithmétiquement vérifiable, plutôt que de laisser Mélenchon occuper le devant de la scène ?

Te soumettant aux initiatives de Mélenchon et de ses épigones, tu as répandu la croyance selon laquelle il était possible de contraindre le chef de l’État à la nomination d’une Première ministre issue de laborieuses tractations, au lieu de prendre l’initiative d’ambitieuses propositions formant le socle d’un pacte législatif. Tu t’es à nouveau rangé derrière celui qui poursuit la seule obsession de provoquer une crise de régime pour susciter un ultime face à face perdant avec Madame Le Pen. Une naïveté supplémentaire de ta part qui, hélas, s’inscrit dans une coupable continuité d’abandon de nos principes.

Bien sûr, faire des compromis et construire l’unité vont de soi. La question est jusqu’où et à quelles fins ? Doit-on se dédire au point d’accepter un compagnonnage avec des gens célébrant la branche politique du Hamas ? Peut-on accepter les ambiguïtés antisémites de certains députés, au nom de la dénonciation de la politique de Netanyahou en Israël, sans aller jusqu’à rompre ? Envisage-t-on de se renier en compagnie d’apprentis constitutionnalistes improvisés, qui redéfinissent à leur guise les prérogatives du président de la République ? Après les palinodies de LFI sur l’Ukraine ou la Syrie, peut-on encore composer avec la seule formation issue de la gauche française à n’avoir pas condamné la mascarade antidémocratique de Caracas jusqu’à se retrouver dans le même camp que Moscou, Pyongyang, La Havane et Managua ?

Tu peux faire fi des nombreuses protestations bien au-delà de nos rangs, étouffant le renouveau d’une social-démocratie de son temps, européenne et écologique. Dans ce cas, ta fonction ne dépassera guère le périmètre de l’autonomie octroyée par le petit père du populisme. Ruffin, Corbières, Autain ont eux aussi pensé qu’ils pourraient amender le calendrier, les pratiques et l’orientation. Aspires-tu à faire l’équivalent de l’extérieur en attendant ton inéluctable disgrâce ou es-tu prêt à recouvrer notre dignité collective conduisant à la rupture explicite avec LFI et son lider maximo ? C’est à ce prix que la gauche retrouvera du crédit et le champ des possibles dans la République.

Boris Enet