L’Europe sommée de s’armer
Le rapprochement entre Washington et Moscou sur le dos de l’Ukraine oblige l’Europe à revoir sa stratégie en matière de défense. Pour que l’UE puisse se réarmer, la Commission revoit ses dogmes budgétaires.
Combien pour la défense? Si la France devait y consacrer autant que la Pologne, c’est un effort de plus de 100 milliards d’euros qui devrait être consenti chaque année. On n’en est pas encore là, mais l’hypothèse d’un changement de paradigme s’impose aujourd’hui en Europe, surtout si on assiste à un « renversement des alliances » comme l’a exprimé l’ancien ministre Jean-Yves Le Drian . Il réagit au nouveau pas de deux de Vladimir Poutine avec Donald Trump sur l’Ukraine, dans lequel la force l’emporte sur le droit. « On devrait être totalement passé en économie de guerre », tempête Raphaël Glucksmann à la tête de Place Publique. Mais ceci « aura des conséquences pour nos finances publiques », avertit Paris.
C’est l’objet des rencontres organisées lundi 17 janvier et jeudi 20 par Emanuel Macron pour appeler les membres de l’UE, rejoints par le Royaume Uni et le Canada, à serrer les rangs. Car toute approche collective des questions de défense implique que les efforts soient mieux partagés. Or, les situations sont toujours très hétérogènes. Entre les 0,2% de PIB que l’Irlande consacre à son armée et les 4,7% de la Pologne, l’Union européenne est écartelée. L’Espagne, l’Italie, la Belgique, l’Autriche et la Slovénie réservent entre 1% et 1,5% de leur PIB aux dépenses militaires, alors que la France, l‘Allemagne, la Suède, la Finlande, le Danemark, la République tchèque, la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie se situent entre 2 et 2,5%. La Grèce et les pays baltes (Lettonie, Lituanie, Estonie) sont plus volontaristes (plus de 3%).
La moitié des pays de l’UE sont en adéquation avec le traité de l’OTAN qui, comme cela fut réaffirmé au sommet de Vilnius de 2023, recommande aux Alliés de consacrer au moins 2% de leur PIB à leurs dépenses militaires. Depuis la fin de la guerre froide, ils avaient eu tendance à rogner sur ces budgets. Aujourd’hui, ils reviennent aux principes de l’origine.
Mais c’est encore insuffisant. Car sous la double pression de l’agression russe et de l’isolationnisme américain, l’Europe doit se réarmer. Ce qui implique un renforcement des budgets de défense. La France a prévu dans son budget 2025 un effort de 50,5 milliards d’euros, en progression de plus de 3 milliards par rapport à 2024, conformément à la loi de programmation militaire. « Nous devons changer d’échelle dans nos montants consacrés à la Défense », déclarait Emmanuel Macron début janvier, plaidant pour un grand emprunt européen.
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a elle-même appelé le 17 février à un sursaut plus volontariste que celui qui a permis de passer de 200 milliards d’euros de budgets annuels cumulés dans la Défense en Europe avant l’agression de l’Ukraine à plus de 320 milliards. Elle a également autorisé l’ouverture d’une clause de sauvegarde pour que les dépenses consacrées à l’armement ne soient plus prises en compte dans les contraintes budgétaires des critères de Maastricht. Ce que Paris demandait depuis longtemps, considérant que les dépenses d’un membre de l’UE dans la Défense intéressait l’Union tout entière, et qu’à ce titre elles devaient faire l’objet d’un traitement particulier.
La Commission a également rejoint la position de l’Élysée réclamant que les budgets militaires profitent avant tout à l’industrie européenne d’armement, alors que le surcroît des dépenses d’armement bénéficient surtout à … l’industrie américaine. Une telle préférence européenne ne fait pas encore l’unanimité dans l’UE, et il faudra des années pour relancer l’industrie d’armement et surtout mettre en place des coopérations. Pourtant le temps presse…