L’Himalaya d’Edouard Philippe
L’ancien Premier ministre annonce un programme « massif » pour sauver une France « malade ». Mais les obstacles se multiplient sur la route du champion des sondages.

« Deux ans, c’est long », soupire le maire du Havre en contemplant le chemin qui reste à parcourir avant la présidentielle de 2027. Seul candidat déclaré à droite pour l’échéance suprême, il a fait le choix d’une relative discrétion pour ménager sa monture. Tout en rappelant régulièrement, comme dimanche dernier à Bordeaux, sa détermination à se présenter. Et à proposer un programme de changement « massif ».
Massif ? Traduction : courageux. Pas quand il promet de « restaurer l’autorité » ou de « faire le choix de la jeunesse ». Mais quand il affirme que « la France s’en sortira par le travail » ou qu’« il faudra reprendre le modèle des retraites pour offrir plus de liberté et de sécurité », on subodore qu’il s’apprête à proposer aux Français davantage de labeur et de sueur que d’argent magique. Le maire du Havre évoque, pour sauver un pays « qui décroche », des « mesures massives, un sursaut qui fera du bruit »
Sur le point le plus sensible du moment, les retraites, sa religion est faite, même s’il ne veut pas dévoiler son plan trop tôt. Selon lui, il faut baisser globalement la part des pensions dans le PIB. L’Allemagne a réussi à le faire, avec une baisse de trois points. Atteindre cet objectif règlerait beaucoup de problèmes hexagonaux. Cela passerait inévitablement par l’allongement de la vie professionnelle – « il faudra travailler plus » – mais sans doute aussi par un système où les pensions pourraient être moins élevées.
« Il faudra dire la vérité aux Français », martèle ce boxeur qui aime parler cash. Réussira-t-il là où les autres amateurs de « parler-vrai » se sont cassé les dents ? Pour l’instant, il n’en n’est qu’à la promesse de l’aube. Gare aux morsures du soleil, dès qu’il s’exposera en pleine lumière… Demander des efforts à ses concitoyens n’est pas chose aisée. Les sondages sur les retraites le confirment jour après jour : les Français ne veulent pas travailler davantage.
Ce n’est pas la seule difficulté à laquelle s’expose le président de Horizons. Les deux ans à venir se présentent comme une véritable course d’obstacles. Il y a d’abord la délicate question d’un positionnement qui se veut à la fois en rupture avec le macronisme et en soutien « light » du gouvernement. Non, mais ? Oui, mais ? Pas commode de ne pas pouvoir critiquer ouvertement le pouvoir tout en souhaitant le remplacer… Cela rend le discours un peu tiède. Tout juste admet-il que « rien de décisif ne pourra être accompli dans les deux ans qui viennent ».
Il y a ensuite les concurrents. Edouard Philippe a beau bénéficier d’une popularité encore insolente malgré son retrait relatif, l’espace de la droite et du centre droit est très encombré d’impétrants. Outre Laurent Wauquiez, Gabriel Attal et autres personnalités déjà en piste, le gouvernement propulse au premier plan des candidats possibles. Gérald Darmanin, peut-être, mais aussi plus sûrement Bruno Retailleau, dont l’étoile monte. Sans compter François Bayrou lui-même, s’il parvenait à éviter les crevasses de l’Himalaya.
Enfin, il y a son équation personnelle, qui peut être autant un atout qu’un fardeau. Sympathique quand, pendant le Covid, il admet « ne pas savoir », maladroit quand il peine à expliquer pourquoi il a dîné secrètement avec Marine Le Pen, séduisant quand il parle de ses lectures préférées, un brin raide façon « droit dans ses bottes » quand il prend des accents churchilliens, il attire mais intrigue, voire trouble. Tiendra-t-il la distance dans un pays qui ne couronne jamais les favoris de départ et privilégie les marchands de rêve ?
En attendant la prochaine présidentielle, qui risque de voir se concurrencer de nombreux leaders de son camp, il propose que les tendances du bloc central s’unissent « pour affronter les extrêmes ». Et se rassemblent derrière des candidats uniques lors des élections à venir pour pallier le risque d’élimination. Du simple bon sens, digne de ce normand cartésien. Mais un plaidoyer pas forcément entendu, tant il paraît pro domo…