Liban, Syrie : deux pays à refaire…
Les islamistes désormais au pouvoir à Damas multiplient les contacts internationaux en tenant un discours d’apaisement. Mais au Liban comme en Syrie, le retour à la stabilité commence à peine…
Le premier ministre libanais sortant, Nagib Mikati, était ce week-end à Damas pour rencontrer le tombeur du régime Assad, l’islamiste Ahmed Al-Charaa. Une première. Aucun dirigeant libanais n’avait fait le voyage de Damas depuis l’insurrection syrienne en 2011. Cette visite intervient dans la foulée de l’élection du général Joseph Aoun comme nouveau président du Liban.
Avec cette visite les deux nouveaux dirigeants actent la nouvelle donne régionale du Moyen Orient. Elle aurait été impossible sous le régime d’Assad, soutenu par Téhéran, qui armait le Hezbollah libanais au cœur de la communauté chiite. C’était hier à peine. Le régime des mollahs visait alors Tel Aviv avec ce qu’il avait désigné comme « l’axe de la résistance », un axe stratégique qui courait depuis Téhéran pour atteindre le nord d’Israël via la Syrie et les roquettes du Hezbollah.
Il y a eu d’autres sujets de frictions abordés ce week-end entre les deux dirigeants. La Syrie du clan Assad n’a jamais respecté le Liban : pendant des décennies, Damas a exercé une forme de tutelle en refusant de délimiter des frontières entre les deux pays. Ce mépris remonte à plus loin encore. On se souvient de l’intervention militaire syrienne dans la guerre civile libanaise à partir de 1976, une présence qui restera effective pendant trois décennies.
« En Syrie, nous resterons à égale distance de tous au Liban et nous réglerons les problèmes par la consultation et le dialogue », souligne maintenant Ahmed Al-Charaa, le chef de la coalition islamique syrienne après son entretien avec Nagib Mikati. Le premier ministre libanais a aussi abordé la question du retour des réfugiés syriens installés au Liban. On estime à quelques 1,5 millions le nombre de ressortissants syriens au pays du cèdre, pour une population totale de 4, 5 millions. Leur retour partiel est indispensable si l’on envisage la reconstruction d’un Liban durement touché par les destructions israéliennes d’octobre et novembre dernier. Ahmed Al Charaa n’a pas manqué de saluer l’élection jeudi dernier du général Joseph Aoun comme président du Liban : elle conduira, a-t-il dit, « à une situation stable ». C’est exactement ce que voulait entendre le PM libanais, confirmant au passage que le nouvel homme fort de Damas joue finement pour prendre toute sa place dans le nouveau jeu régional.
Jeudi à Beyrouth, l’ancien chef de l’armée libanaise a dû attendre le second tour et l’appui des trente députés du Hezbollah pour être élu président après une vacance à ce poste qui durait depuis deux ans. Le Hezbollah ne pouvait risquer l’isolement à la suite de la sévère défaite qu’il a subie à l’automne sous les coups de boutoir de l’offensive israélienne. Dans son discours inaugural, Joseph Aoun a estimé que son pays entrait dans une nouvelle ère. Il a aussi eu l’audace de briser un tabou en soulignant que l’État aurait désormais le monopole des armes. Aucun député du Hezbollah n’a quitté la séance.
Joseph Aoun doit son élection à son rôle dans la mise en route du cessez-le-feu du 27 novembre dernier. Paris, Washington, mais aussi l’Arabie saoudite qui entend profiter du recul du Hezbollah chiite pour retrouver de l’influence à Beyrouth, tous ont poussé la candidature de l’ancien patron de l’armée libanaise. Devenu l’homme de la situation, il a fallu un dernier déclic pour assurer le vote. Le message des Occidentaux et des pays du Golfe a été on ne peut plus clair : le financement de la reconstruction du pays ne parviendrait jamais à Beyrouth si un président n’était pas élu.
Selon la constitution libanaise, les attributions présidentielles sont assez faibles, la réalité du pouvoir exécutif est entre les mains du conseil des ministres. Le chef de l’état doit maintenant trouver un successeur au premier ministre Najib Mikati, un député qui soit adoubé par une majorité de ses pairs et les leaders des communautés libanaises. Rien ne dit que l’on puisse à ce stade dépasser les fragmentations habituelles de la société libanaise. Il y a urgence, la trêve négociée par Paris, Washington et Tel Aviv n’est pas le retour à la paix.
Le cessez le feu entre l’armée israélienne et le Hezbollah est en vigueur depuis plus d’un mois déjà. Les forces de Tel Aviv ont à peine commencé à se retirer de Naqoura autour du quartier général de la Finul. En principe les blindés israéliens auront fini leur retrait dans soixante jours. Le Hezbollah doit lui aussi retirer ses infrastructures militaires au nord du fleuve Litani, à trente kilomètres de la frontière. L’armée libanaise et les casques bleus de la Finul seront les seuls militaires dans le sud libanais. A Beyrouth, on considère que le délai du repli accordé aux israéliens est trop long.