L’impuissance publique

par Boris Enet |  publié le 11/04/2025

Dans une phase d’instabilité politique aussi forte, personne ne reprocherait à l’actuel gouvernement de ne pas envisager une révolution du ministère de l’Éducation. De là à cultiver une forme d’immobilisme, il n’y a qu’un pas.

François Bayrou et Élisabeth Borne au Comité interministériel de l'innovation, le 10 avril 2025 au Centre Pompidou, à Paris (Photo by Ludovic Marin / AFP)

C’était aussi le risque encouru en annonçant un ministère d’État, premier dans l’ordre protocolaire, suscitant des attentes, déçues. L’ex Première Ministre a eu l’honnêteté de reconnaître son absence de technicité sur les questions liées au mammouth. Le problème est que proportionnellement à son poids, ce dernier continue de s’enfoncer.

Bien sûr, l’interdiction prochaine des téléphones portables dans les collèges après une phase d’expérimentation, est souhaitable. La question de l’orientation est manifestement moins aboutie avec des propos pour le moins maladroits sur l’orientation dès l’école élémentaire, relevant davantage du sketch involontaire. La volonté de diagnostiquer la condition physique des enfants à des fins sanitaires est encourageante avec des tests d’éducation physique pour alerter sur la sédentarité ou la nécessité de l’équilibre alimentaire, à la condition que cette préoccupation ne relève pas exclusivement des seuls professeurs d’EPS, faute de quoi son efficacité serait nulle. Mais ces bonnes intuitions apparaissent aussi comme de pâles dérivatifs à côté des questions centrales qui assaillent l’école depuis maintenant trop de temps.

Bétharram et les autres, à quand la fin de l’omerta ?

Après l’élection ce jeudi à Lourdes, par la conférence des évêques de France, du nouveau secrétaire général de l’enseignement catholique (SGEC), Guillaume Prévost, la question de la sécurité des enfants scolarisés par les établissements sous contrat reste entière.

La ministre indique une enquête de l’Inspection générale à Bétharram pour des faits intervenus après 2021 et entre élèves, constatant que, ni la saisine du procureur, ni même la remontée de l’information au rectorat n’avaient été réalisées. Cela ne relève en rien du fait divers mais d’une éducation à l’omerta répandue, tristement illustrée par la petite notabilité provinciale à laquelle les autorités béarnaises n’ont manifestement pas échappé.

Le « #MeToo » des anciennes victimes du plus gros réseau privé sous contrat, l’école catholique, réunissant près de 7200 établissements et 2 millions d’élèves, bouleverse la donne. Mais le ministère public circonscrit l’incendie et ses innombrables crimes avec un seau d’eau.

Une simple consultation des courriers échangés en 2024 entre l’influent Philippe Delorme alors à la tête du SGEC et le ministère de l’Éducation, pointe la nature du problème. Rechignant aux contrôles, autres qu’administratifs et financiers quoique tardifs, ce dernier défend l’État dans l’État, dénonçant un « système de délation » ou un « manuel de l’inquisiteur » à l’encontre du réseau qu’il coordonne. Une argumentation mille fois entendue lorsqu’il s’agissait de couvrir les crimes sexuels de masse dans l’Église.

Pourtant, aucun rôle n’est dévolu au SGEC dans le code de l’éducation, ni même dans la loi Debré de 1959. Son rôle s’est accru au fur et à mesure que la lâcheté a pris le dessus dans les couloirs de la rue de Grenelle. Encore « traumatisée » par l’échec de la loi Savary de 1984 et la réouverture d’une possible guerre scolaire, la puissance publique s’est donc tue tout en accordant un financement constant à hauteur de 20% de l’école publique, représentant trois-quarts des ressources de ces établissements. Les carences de l’État en matière de contrôle des établissement privés ont été dénoncées dès le 12 mai 2023 par la Cour des comptes, débouchant sur des recommandations. L’attente ou les demi-mesures sont-elles encore de mise lorsque la sécurité de milliers d’enfants est en jeu ?

Et puis, il y a le reste, tout le reste. Le délabrement éducatif et scolaire ne fait pas les gros titres quotidiennement, mais parmi celles et ceux qui sont au contact de l’institution, nul ne l’ignore. Nous assistons à un effondrement. Effondrement du niveau, formalisé chaque année par les différents classements, effondrement civique avec une violence endémique de certains établissements au contact d’un environnement réunissant tous les handicaps, effondrement aussi de la motivation du milieu enseignant malgré l’héroïsme du quotidien d’une partie d’entre eux.

La réforme du recrutement professoral dès la licence et une préprofessionnalisation ne sauraient remplacer une revalorisation significative et une refonte impérieuse du statut. Plus généralement, la question soulevée est désormais celle du sauvetage de l’éducation publique. Les données sont connues. Le temps presse.

Boris Enet